Les notes du début :
Quelques gens qui traînent sur fpress depuis un moment ont peut-être dû cliquer sur cette histoire avec un air perplexe, en se disant « tiens, elle écrit encore, elle ? »
EH BIEN OUI, JE SUIS ENCORE VIVANTE ! \o/
Si je n'ai rien mis sur fictionpress depuis quelques années, c'est parce que la plupart des dernières histoires que j'ai écrit sont des nouvelles destinées soit à YbY Editions, soit à MxM Bookmark. Elles sont disponibles sur plusieurs boutiques en ligne, dont Amazon (tous les liens sont normalement dans mon profil, si vous êtes intéressés !)
C'est un peu un retour raté, parce que cette histoire-là n'est pas vraiment un inédit puisqu'elle a été publiée à l'origine dans le recueil Love Shot 2 de l'association Event Yaoi, il y a quelques années. Mais le recueil est épuisé depuis longtemps, et j'avais déjà mis l'histoire sur Manyfics, en zappant complètement de la mettre ici.
Si vous me connaissiez déjà pour d'autres histoires que j'ai publiées ici, j'en profite pour signaler que j'ai retiré depuis un peu plus d'un an Stigmata de fictionpress vu que l'histoire est maintenant éditée chez MxM Bookmark, sous le nom de C. J. Sterne, parce qu'il fallait un nom sérieux sans tréma pour ne pas faire fuir les gens sur Amazon (mais on peut aussi commander la version papier chez son libraire !) (avec sa plus belle pokerface).
Pour les autres, voici donc un petit one-shot sobrement surnommé « UNIPOOOOORN », qui doit dater de 2012/ 2013. Il y a des scènes de galipettes dedans, mais pas de zoophilie (quoique), et beaucoup de portnawak.
Bonne lecture !
La forêt aux licornes
La chasse battait son plein quand les dames, lassées de courir après du gibier imaginaire que seuls les limiers apercevaient, décidèrent de faire une pause. On choisit une adorable clairière pour étendre une jolie nappe sur l'herbe tendre, au milieu des fleurs des bois. Des grenouilles plongèrent à toute hâte dans le ruisseau cristallin tandis que les demoiselles descendaient de selle, s'extasiant toutes ensembles sur la beauté du lieu.
On fit passer des ombrelles pour protéger le teint délicat des jeunes filles. Dans leurs beaux atours de chasse, elles formaient une compagnie charmante, qui s'assit tout en cercle au milieu des valets et des suivantes. Pendant que leurs fiancés, leurs parents ou leurs frères continuaient de battre les bois au son des cors et des aboiements, elles arrangèrent leurs robes et leurs jupons pour s'installer confortablement et profiter de la belle après-midi.
On leur fit passer des douceurs sur des plateaux d'argent, quelques rafraîchissements pour oublier la chaleur encore vive. Une petite brise traversait pourtant la clairière et soulevait les chevelures des jeunes filles.
De toutes, Ménoly était certainement la plus charmante. Seule fille des quatre enfants du couple royal, on la surnommait le Bouton d'or, ou le petit trésor du royaume. On l'appelait ainsi à cause de ses longues boucles souples, de la couleur de l'or le plus pur, qu'elle avait déjà le jour de sa naissance. En grandissant, elle était devenue le symbole de la richesse et de la puissance de la famille royale. On ne la vêtait que de robes en fil d'or fins, couvertes de pierres précieuses et de broderies délicates. Dans la fraicheur de ses seize ans, il allait bientôt être temps de lui trouver un époux et le peuple entier se passionnait sur l'identité du futur fiancé du Bouton d'or. Il serait un homme du pays, assurément, parce qu'on ne voulait pasr que le trésor du royaume devienne celui d'un pays étranger. Les mines royales regorgeaient encore de minerais à profusion et la dot de la jeune princesse serait sans doute aussi sublime que sa garde robe toute en or.
Des quatre coins du royaume, les plus grandes familles envoyaient des portraits de leurs plus beaux fils pour tenter de séduire la jeune fille. Elle était bien plus courtisée que ses frères ainés, pourtant héritiers potentiels du trône et destinés à de bien plus hauts avenirs.
Adulée de tous, Ménoly n'avait qu'à battre des cils pour que l'on exauce le moindre de ses désirs. Elle n'en abusait pas pourtant, de nature aussi douce et charmante que son joli visage. Elle était d'une compagnie exquise et avait toujours une bonne parole et un compliment pour ses interlocuteurs. Au milieu du petit cercle des jeunes filles, on n'entendait presque que son rire et les autres n'avaient d'yeux que pour ses rangéesses de dents blanches, et la façon gracieuse qu'elle avait de faire tourner la poignée de son ombrelle.
Un coup de vent emporta soudain la coiffe de l'une des jeunes filles. Aussitôt, valets et écuyers se précipitèrent pour tenter de la récupérer, provoquant éclats de rire et encouragements dans la gracieuse compagnie.
Laissées seules de toute surveillance masculine, les jeunes filles se firent un peu plus polissonnes et l'une de leur chaperonne, une religieuse d'âge mur engoncée dans sa robe de cristaux, dû hausser la voix pour les rappeler à l'ordre. Elle fut obéie, mais pas pour les raisons qu'elle escomptait.
– Par tous les anges dorés, souffla l'une des jeunes filles en se figeant soudain.
Les autres suivirent brusquement son regard et tournèrent la tête vers l'orée de la clairière. Elles se turent toutes ensembles et retinrent leurs souffles, les yeux écarquillés de surprise. Quelques unes tenaient encore leurs biscuits en l'air ou leurs coupes à leurs lèvres.
Un splendide cheval blanc avançait d'un pas calme en leur direction. Plus beau que toutes les montures des écuries royales, il n'avait aucun harnachement, sa crinière immaculée recouvrant une encolure aussi puissante que délicate. C'était de loin le plus joli cheval que les jeunes filles aient jamais vu de leurs vies. Mais plus belle encore, sur le front de la créature, était une corne d'un blanc pur, torsadée comme un précieux ouvrage de porcelaine.
Les jeunes filles restèrent muettes devant l'apparition de la licorne. Attirée assurément par cette compagnie aussi chaste que juvénile, la créature avança vers elles sans crainte, d'un pas calme et souple.
Une religieuse sursauta soudain.
– Ménoly ! Non ! s'écria-t-elle précipitamment.
Trop tard pourtant, car la jeune fille avait relevé ses jupes et avançait prudemment vers la licorne. Cette dernière, effrayée par l'éclat de voix, fit une légère embardée et ne quitta pas la princesse des yeux.
Les autres retenaient leurs respirations, les yeux écarquillés. Ménoly tendit tout doucement la main, avec la témérité des jeunes gens élevés loin du danger, le sourire calme et le regard rassurant. La licorne recula d'abord, forçant la princesse à s'éloigner du groupe d'un pas, et d'un autre. Puis, dans un rare moment de grâce et de communion, elle inclina sa tête délicate, refermant les paupières, et la jeune fille put poser la paume de sa main sur le chanfrein immaculé de la créature.
Ménoly sourit, aussi fière qu'émerveillée. Les licornes n'apparaissaient que très rarement devant les humains et ne se laissaient attraper que par les plus pures jeunes vierges. Avec plus d'audace, elle flatta l'encolure de l'animal qui rouvrit les paupières pour planter son regard dans les prunelles de la princesse. Troublée, cette dernière se laissa envouter, se noya dans le regard intense de la créature. Il lui semblait qu'elle lisait en elle jusqu'au plus profond de son âme, pouvait découvrir jusqu'à ses plus intimes souvenirs par le simple lien de leurs regards. Subjuguée, Ménoly glissa les doigts dans les fils soyeux de sa crinière, caressant de ses doigts délicats les crins d'argents de la licorne.
Alors, devant les visages incrédules de la compagnie, la créature posa les genoux à terre pour inviter la jeune fille à la monter. Sans réfléchir, ensorcelée par ce moment de grâce, Ménoly ramassa sa jupe dorée et grimpa élégamment sur la sublime monture, en position d'amazone. L'animal se redressa pour faire quelques pas, et toutes les jeunes filles poussèrent une acclamation émerveillée devant la magnificence du spectacle la princesse chevauchant la licorne.
Il y eut soudain des cris d'homme, des aboiements furieux et le bruit sourd des chevaux au galop tout autour de la clairière.
Brusquement, la licorne fit une embardée et menaça de se cabrer, effrayée par le raffut que faisaient les humains. L'assemblée féminine poussa des exclamations effarées et des appels à l'aide, les plus âgées se redressant déjà en ramassant leurs jupes.
Trop tard. Aussi vivement qu'elle était apparue, la licorne s'était évaporée dans les bois, emportant sur son dos l'unique princesse du royaume.
.o.o.o.o.o.o.o.
Quand une flèche siffla entre ses deux oreilles, Thîen-zin se retint de pousser le juron le plus vulgaire et le plus déplacé qu'il ait jamais appris. ÀA la place, il préféra garder toute son énergie pour galoper aussi vite que ses jambes en étaient capables.
Ce n'était pas normal. Il aurait dû entendre ce chasseur arriver. Personne ne pouvait s'approcher d'une licorne avec des idées néfastes. Il fallait avoir le cœur pur pour s'approcher de son espèce, une âme sincère et des intentions pacifiques. Les humains riaient et trouvaient ça stupide mais Thîen-zin, lui, ne s'en plaignait pas ça ne le dérangeait pas d'avoir une réputation de canasson niais s'il avait en contrepartie un sixième sens pour l'avertir du danger.
Seulement cette fois-ci, le danger avait déboulé si vite et si fort qu'il n'avait rien vu venir. Le barbare à ses trousses avait honoré la réputation de bourrins intrépides que traînait son peuple. Il était cependant loin d'être stupide, car il avait déniché une monture capable de suivre le rythme d'une licorne et avait pris soin de pousser inexorablement sa proie au plus profond des bois.
Les sabots fendus de Thîen-zin ne pouvaient sans doute pas devancer ceux d'un vrai cheval, mais ses jambes le portaient avec l'adresse de celles d'une biche. Les roches, les racines et l'escarpement du sol ne le gênaient pas, lui donnaient même un avantage sur les montures habituelles de ses poursuivants. Beaucoup s'étaient déjà rompus le cou, ou avaient renoncé à le suivre pour ne pas risquer de tuer leur cheval dans une course déséquilibrée.
Pas le barbare. Il menait sa pouliche d'une main experte et le suivait sans peine alors que la forêt devenait de plus en plus dense et sauvage, là où même les cerfs et les grands mammifères ne s'aventuraient plus pour tracer des chemins invisibles entre les arbres.
Pour ne rien arranger, ce poursuivant était même un cavalier émérite, capable de tirer à l'arc sans démonter, y compris dans des conditions aussi abruptes. Thîen-zin hennit de frustration et redoubla d'effort.
D'ordinaire, les humains le laissaient tranquille parce qu'il n'était pas aussi pur et gracieux que les autres licornes. D'ailleurs, sa corne était d'un noir d'onyx, et il avait les sabots fendus et une queue de lion. Il n'avait rien des créatures diaphanes qu'ils rêvaient d'attraper.
Il avait bien remarqué que depuis quelques temps, les humains étaient de plus en plus nombreux à se risquer dans la pénombre de la forêt. Mais aussi loin, et de là à prendre le risque de le prendre en chasse ? C'était le territoire indompté des créatures magiques, où le gibier était rare. On disait même qu'à la nuit tombée, des monstres rôdaient et dévoraient tout ce qu'ils trouvaient. Les hommes avaient leur propre partie de la forêt, bien moins touffue et obscure, et s'en contentaient d'ordinaire sans prendre le risque de vouloir étendre leur territoire.
Il fallait bien un étranger pour être aussi téméraire. Thîen-zin buvait calmement à la rivière quand ce fou furieux avait jailli des fourrés. Il avait à peine eu le temps de le voir venir, mais il avait aperçu un ridicule gilet de peau, vêtement traditionnel des gens du nord qui leur couvrait à peine les tétons, au dessus du torse puissant et des pectoraux solides de son assaillant.
Il avait aussi clairement vu son épaisse chevelure noire, sorte de crinière hirsute qui ne pouvait être portée avec dignité que dans les hautes terres du nord-ouest, là où vivaient ces tribus sauvages. Des gens bizarres, assurément. C'était la première fois qu'il en rencontrait un, mais il ne risquait pas de l'oublier.
Le barbare avait beau venir des montagnes, il semblait très à l'aise dans une forêt tempérée. Cependant, Thîen-Zin conservait un avantage de poids. Il connaissait la forêt mieux que personne et si les flèches de son poursuivant tentaient de le rabattre vers des endroits plus dégagés, il tenait bon pour essayer de le perdre dans l'obscurité des bois.
Là-bas, ce ne serait pas un cheval qu'il lui faudrait pour le suivre, mais plutôt un chevreuil.
La licorne bondit par-dessus une épaisse racine et atterrit souplement en contrebas, dans une minuscule crevasse cachée par des feuilles mortes. Entre les troncs couverts de mousse et de lichen, le sol devenait de plus en plus traitre et escarpé. Le martèlement sourd des sabots de Thîen-Zin fut peu à peu étouffé par l'épaisseur de la forêt, ses halètements remplacèrent le vent qui ne pénétrait plus à cette profondeur. Son poitrail immaculé se couvrait de sueur mais il tint bon, ignorant l'épuisement et la fatigue, poussé par un mélange de peur et de détermination qui lui donnait des ailes. Il avait toujours regretté d'être né licorne et pas pégase. Les chevaux ailés étaient très convoités, mais n'avaient de valeur que vivant et en pleine forme. Pas mort, comme les licornes, pour servir de trophée sur un mur ou pourrir dans les bois, délestés de leurs cornes.
Il ne réalisa pas tout de suite qu'il avait cessé d'entendre le galop furieux de son poursuivant. Le silence le surpris, assourdissant. Il n'entendait plus rien d'autre que sa propre respiration.
Est-ce que le barbare avait vraiment renoncé ? Il ne prit pas la peine de le vérifier et continua de courir pour mettre le plus de distance possible entre eux. Ses jambes commençaient à lui faire mal et sa robe en sueur le faisait frissonner. Il y avait une clairière un peu plus loin, avec un ruisseau qui jaillissait d'un éperon rocheux. Là-bas, il pourrait faire une pause.
Il ralentit le pas progressivement, suivant l'odeur de l'eau et la lumière. Malgré le ciel gris, la forêt était si obscure qu'il eut l'impression de se rapprocher d'un éclatant ciel bleu tandis qu'il atteignait la clairière. Ses sabots foulèrent les galets qui entouraient le minuscule ruisseau et il le remonta en soufflant longuement par les naseaux. Son cœur battait à un rythme effréné, tellement chamboulé qu'il peinait à retrouver les idées claires.
Il ignorait s'il avait vraiment réussi à semer son poursuivant. Il en doutait, et reprendrait sa course dès qu'il se serait désaltéré un peu. Le barbare pourrait sans doute remonter sa piste sans problème dans les bois, si sauvages et profonds que le passage de Thîen-zin avait dû laisser un chemin aussi visible que la route royale. Mais son cheval ne pourrait certainement pas l'y porter, à moins d'être à moitié cerf ou d'avoir des ailes, et un barbare à pieds restait beaucoup moins rapide qu'une licorne valide.
Il aperçut entre la percée des arbres les eaux claires de la minuscule cascade. Le ruisseau chutait d'une falaise de faible hauteur, qui marquait le début de la partie véritablement escarpée de la forêt, bordant les contreforts d'une chaine de montagnes. Les arbres tout autour étaient si anciens et touffus qu'ils enveloppaient l'horizon comme un édredon de verdure.
Avec un soupir d'extase, Thîen foula de ses sabots l'eau aussi claire que fraiche. Le clapotis que faisaient ses pas, dans le ruisseau glougloutant, l'empêcha d'entendre le bruit des branches fouettées et les pas sur la mousse du corps massif qui se rapprochait.
Le barbare lui tomba dessus pour la seconde fois de la journée, si brutalement qu'il ne vit qu'une masse de cheveux noir se jeter sur lui.
Thîen-Zin sentit contre son poitrail le contact rugueux et dur d'un objet rond. Une énorme pierre de rune, si puissante qu'elle l'expulsa violemment de son propre corps. La silhouette fantomatique d'une licorne tomba en poussière alors que son corps désormais humain fut brutalement éjecté, propulsé contre les arbres au fond de la clairière.
Son dos fouetta et fracassa toutes les branches sur son passage avant de s'écraser contre l'écorce rugueuse d'un arbre. Thîen-zin atterrit sur les genoux et gémit de douleur. Les doigts enfoncés dans la mousse, il voyait des étoiles. Sa crinière blanche, devenue une rivière de cheveux blancs, retomba sur son corps recroquevillé avec un temps de ralenti. Sonné, il souffla pour chasser une mèche de devant ses yeux, et sentit la colère lui tordre les tripes.
Ce barbare avait commis l'erreur de sa vie.
Ignorant la douleur qui vrillait encore sa colonne vertébrale, il se redressa et attrapa dans sa chevelure immaculée une longue mèche de couleur noire. Lorsqu'il tira dessus, elle se détacha sans effort et s'épaissit, enfla, jusqu'à s'entortiller sur lui comme un souffle de vent. Un gilet de cuir bouilli se noua sur son torse d'humain, puis une épaulière de plate dont il resserra sèchement les sangles. Ses bottes se lacèrent toutes seules et quand le barbare s'avança dans la clairière, le nœud d'un pagne s'enroulait à peine autour des hanches de la licorne. Thîen-zin noua par-dessus une large ceinture d'étoffe outremer, dont l'extrémité lâche retomba entre ses cuisses jusqu'à hauteur de ses genoux.
Prêt à se battre, il étrécit les paupières. Il détestait être éjecté comme ça de son corps animal. Ses yeux plissés, en amande, étaient aussi noirs sous l'une et l'autre de ses formes. Mais à la place de sa blanche robe équine, il avait une peau rose et pâle, dénuée de poil et bien humaine.
Le barbare n'eut pas l'air surpris. Calmement, il passa la main sur son front pour rabattre en arrière les mèches plus courtes qui avaient chuté sur son visage. Son corps était couvert de symboles noirs, jusque sur son visage, des motifs de sa tribu à la signification obscure. La licorne se demanda s'il s'agissait de peinture ou de tatouages, n'étant pas très au clair sur l'ensemble de leurs coutumes bizarres. Le guerrier était jeune, encore dans la force de l'âge, aussi grand que massif. Avec un physique pareil et des talents de chasseur aussi développé, il devait être un guerrier redoutable. Il avait sûrement utilisé une autre de ses pierres runiques pour courir assez vite pour le rattraper.
Thîen-zin ne ressentait pourtant toujours aucune émotion négative. Les sourcils froncés, il dévisagea le barbare, à bonne distance de lui, qui lui rendait son regard avec un sourire goguenard. Il portait une gigantesque épée dans son dos, une lame longue et large qui devait peser un poids effarant. La licorne était cependant presque sûre que ce barbare pouvait la manier sans effort, et même être particulièrement dangereux avec elle. Qu'à cela ne tienne, il ne le laisserait pas en faire usage.
L'air commençait à sentir la pluie et il faisait de plus en plus lourd, dans la clairière. Avant que le barbare ne puisse faire un geste, Thîen attrapa sa propre corne et commença à la tirer, comme on hissait une corde. L'appendice noir jaillit sans résistance, se détachant de son corps dans un cercle lumineux, s'allongeant encore et encore à mesure que Thîen l'extirpait de lui. Quand il l'eut sortit toute entière, elle était aussi haute que lui et ne laissa pas la moindre marque sur son front désormais lisse.
Il fit tournoyer sa lance, noire comme l'ébène, puis la tint fermement pour se mettre en position de défense. Il brandit la pointe torsadée dans la direction du barbare, mais le chasseur se contenta d'éclater de rire.
– Tu devrais ranger ça avant de te faire mal.
Sa voix moqueuse avec un accent rude, et il détachait déjà les sangles qui retenaient son immense épée.
Thîen fut déstabilisé mais resserra bien vite les doigts sur sa lance, aussi déterminé que concentré.
– Tu parles notre langue ? demanda-t-il pourtant avec une pointe de surprise.
Le barbare ricana, jetant l'étui de sa lame au sol. Comme la licorne le pensait, il soulevait sans effort cet énorme bout de métal qu'il tenait à deux mains.
– C'est plutôt moi qui devrais être surpris, rétorqua l'étranger avec un sourire goguenard.
Thîen ne répondit pas. Ce n'était pas faux, peu d'humain savaient que certaines créatures pouvaient parler comme des hommes et prendre une forme humaine. Il s'exprimait même mieux que ce barbare, dont la voix grave roulait les r et étirait ses u en de longs « ou ». Cela faisait des années que Thîen se mêlait régulièrement aux humains pour les surveiller. C'était d'ailleurs auprès d'eux qu'il avait tant appris sur les barbares du nord.
– Qu'est ce que tu veux ? C'est ma corne qui t'intéresse ? Viens la prendre, alors !
Le barbare éclata de nouveau de rire, un rire aussi franc que caverneux. Il avait l'air aussi désinvolte que sûr de lui. Thîen-zin n'était pas une brindille, avait des jambes longues et musclées et une silhouette athlétique. Mais le barbare le dépassait d'une bonne tête et était bien plus large que lui. Une force de la nature aux traits harmonieux, qui aurait même été très agréable à regarder en d'autres circonstances. La licorne resta concentrée, les pieds solidement campés sur le sol.
–Non, ce n'est pas ta corne, répondit le barbare en secouant la tête. Je cherchais une licorne. C'est toi qui as enlevé la jeune fille ?
Thîen cilla un peu cette fois. Il reprit aussitôt sa posture, tendant sa lance parallèle au sol, se tenant de biais.
– Elle est dans votre cachette, c'est ça… ? déduit le barbare de son soudain mutisme. Sois gentil, et emmène-moi là-bas. Je ne te ferais pas de mal…
Thîen renifla de dédain, crispant les mains sur sa lance.
– Je le ferais. Quand je t'aurai assommé.
Il ne laissa pas au barbare le temps d'attaquer le premier. Il fonça d'une façon aussi vive que sous sa forme équine, rapide et souple, bondissant plus qu'il ne courait. Son adversaire leva son épée pour se préparer à briser sa hampe mais Thîen l'avait vu venir. Il planta sa lance au sol et s'en servit comme d'une perche pour s'envoler. Surpris, le barbare ne put rien faire d'autre que de recevoir ses pieds en pleine figure.
Thîen se rétablit d'une pirouette. Il tira sur sa lance d'un coup sec pour l'extirper du sol et alors que l'humain, déstabilisé, tentait de se remettre sur ses deux jambes, lui asséna deux violent coups de bâton sur les flancs et un nouveau coup de pied latéral.
Le barbare comprit alors l'utilité des bottes de la licorne, qui serraient ses jambes jusqu'en dessous de ses genoux. Elles étaient aussi légères que souples et ne gênaient pas son jeu de jambes redoutable, qui était, à la réflexion, bien plus dangereux que sa lance.
Thîen usait de cette dernière avec suffisamment d'agilité et de maitrise pour compenser le handicap d'une telle arme. Il avait autant d'allonge que l'épée du barbare et sa finesse lui permettait une précision extrême. Quand son adversaire parvenait à se rétablir pour lui rendre ses coups, il s'en servait pour bondir, tournoyer, sauter, repoussait le barbare d'un solide coup de genoux et lui imprimait la forme de ses semelles sur le visage.
Plus cabri que licorne, Thîen bondissait ou s'aplatissait pour esquiver les coups d'épée ravageur de l'autre combattant. Il jonglait avec sa lance comme un vulgaire bâton de saltimbanque, s'en servant d'une main comme de l'autre, de son corps tout entier.
– T'es… plutôt… souple, pour un cheval !
Une toute petite longueur de cheveux blanc fut tranchée net par une taille circulaire, mais Thîen s'était accroupit à temps pour l'éviter. La lance bloquée contre son dos, serrée entre ses deux coudes, il s'échappa d'un salto arrière le temps que le barbare manœuvre sa lourde et lente épée.
– Et plutôt mignon, aussi, s'amusa le barbare en reprenant son souffle. Il y en a d'autres comme toi, dans ton village caché ?
La boutade le laissa de marbre et Thîen lui tourna autour, cherchant à quel endroit fondre pour mieux le toucher. Les sourcils froncés, il marchait d'un pas fluide, les pas étouffés par l'herbe drue de la clairière. Le barbare ne se gêna pas pour le dévorer du regard, avec un sourire torve. Il s'attarda particulièrement sur les cuisses nues de la licorne, aussi blanche que fermes.
Contrarié, Thîen-zin lui fit ravaler son regard grossier d'un rapide coup d'estoc. La pointe de sa lance effleura le flanc du barbare qui para de justesse, et leurs deux armes grincèrent si fort l'une contre l'autre qu'ils firent jaillir des étincelles.
– Je t'ai mis en colère ? le railla le barbare avec son accent si particulier. Ne t'en fais pas, ce n'est pas vrai ce qu'on dit sur nous. Nous ne violons pas les vaincus, ils sont toujours consentants.
Il lui fit un clin d'œil pour appuyer ses paroles mais cela laissa Thîen-zin de marbre. Il grinça simplement des dents, avec la furieuse envie de mettre un terme à ces idioties. Il ne pourrait pas l'asticoter indéfiniment il tiendrait sans doute plus longtemps que le barbare mais lui aussi, il finirait par s'épuiser. Ça l'irritait de ne pas connaitre les véritables intentions du chasseur. Il y en avait peut-être d'autres, comme lui, qui arpentaient les bois en cet instant même. Malgré son gilet de peau et sa crinière sombre, il portait les hauts de chausse et les lourdes bottes de la garde royale, noires à liserés blancs. Il était sans aucun doute un mercenaire embauché par le royaume, et cette nouvelle ne réjouissait pas Thîen-zin.
– Je m'en fais pas pour ça… souffla la licorne en fronçant les sourcils. Le vaincu, c'est toi.
Le barbare rit de nouveau, la voix grave et caverneuse, mais déchanta brusquement. La licorne bondit de nouveau, souple et agile, s'aidant de sa lance pour s'élever sans effort. Mais au lieu de l'attaquer d'un coup de bâton bien placé, Thîen-zin lui sauta au visage. Littéralement.
Il coinça fermement la tête du barbare entre ses deux cuisses, quasiment agenouillé sur ses larges épaules. Pendant une petite seconde, ils oscillèrent, en équilibre, l'étranger cherchant à le dégager en empoignant sa peau à pleine main.
D'une puissante torsion du bassin, Thîen-zin réussit à le déstabiliser par la seule force de ses jambes et le projeta brutalement au sol. Au lieu de l'écraser par terre, il aurait pu l'étouffer ou lui briser la nuque, mais le barbare avait un cou trop épais pour prendre le risque. D'un geste rapide, Thîen-zin attrapa sa lance encore à portée de main pour la suspendre à quelques pouces à peine du visage du barbare, le souffle court et l'air menaçant.
Mais l'étranger se contenta d'éclater de rire.
L'œil pétillant et le sourire jovial, il l se risqua même à redresser la nuque pour admirer l'entrecuisse de la licorne, dont les genoux serraient toujours son visage. Le pagne de Thîen lui laissait un angle plongeant sur son aine… et le reste.
– Jolie vue… murmura-t-il avec son accent étrange.
Thîen-zin le sentit remuer subrepticement, sans doute pour tenter d'attraper les runes qu'il gardait dans une bourse contre son flanc. Sans le moindre état d'âme, il assomma le barbare avant qu'il ne puisse achever son geste.
.o.o.o.o.o.o.o.
La maison de Thîen-zin était accolée à un arbre à la largeur impressionnante, qui soutenait à lui seul le poids de toute la construction. Il s'agissait moins d'une maison que d'une cabane branlante, voire même d'un vulgaire abri appuyé contre le tronc, un toit et trois petits murs dressés entre les racines de l'arbre. Il n'y avait même pas de plancher et le sol était recouvert d'un tapis de mousse verte, agréable à fouler au pied. La cabane de Thîen-zin était haute de plafond et une mezzanine, blottie contre le tronc, lui permettait de gagner de l'espace.
Il grimpa l'escalier grinçant pour rejoindre le barbare, qu'il trouva assis sur la grande couchette coincée entre l'un des murs et le tronc de l'arbre. L'étranger observait le ciel par une lucarne ouverte dans le toit d'ardoise, se baignant dans un rayon de soleil. Il se redressa pourtant en entendant les pas de la licorne dans l'escalier branlant, et lui adressa son plus beau sourire.
– Tu n'as même pas essayé de fuir ? s'étonna Thîen en arquant les sourcils, le visage impassible.
Le barbare haussa distraitement ses massives épaules.
– Pourquoi je l'aurai fais ? Je voulais venir dans ton village, maintenant, j'y suis.
Son accent était étrange, mais était agréable à l'oreille et séduisant à entendre. Il continuait de le dévisager comme lors de leur combat dans la clairière, avec un sourire large et plein de confiance. Il avait l'air de quelqu'un qui restait indifférent à tout et optimiste en toute circonstance. Le genre de personne qui pouvait très vite l'agacer.
Cela faisait déjà un jour qu'il était son captif. Mais Thîen avait soigneusement évité de se montrer lorsque le barbare était éveillé.
– J'aurai pu te tuer, lui fit remarquer la licorne en fronçant les sourcils.
– Mais tu ne l'as pas fait. Tu ne peux pas tuer quelqu'un qui n'a pas de mauvaises intentions.
Il se redressa sur la couchette, les yeux rieurs. Il était sagement assis sur le lit, complètement nu, mais son corps aux muscles puissants était en partie recouvert par une modeste couverture. Thîen avait demandé aux fées de poser des onguents sur ses bleus et ses entailles, avait lui-même vérifié que l'étranger n'avait rien de cassé lorsque celui-ci était encore inconscient. En d'autres circonstances, il aurait pu trouver ça agréable d'avoir à dévêtir et palper un corps aussi bien bâti, mais le barbare le laissait tellement circonspect qu'il n'avait pas réussi à trouver la tâche plaisante.
Néanmoins, il avait raison. Il ne savait toujours pas pourquoi, mais ce barbare ne lui inspirait toujours aucune animosité, surtout quand il le fixait comme ça, avec un sourire aussi bienveillant. C'était perturbant.
Les bras croisés, Thîen finit par s'approcher du lit et s'asseoir sur le chevet, pour soulever les pansements d'herbe qu'on avait posé sur les blessures de l'étranger. Ce dernier sourit de plus belle, d'une manière qui en disait long sur ses pensées, mais il retint ses remarques graveleuses et resta muet. Sentir les doigts de la licorne sur sa peau devait sans doute valoir la peine de retenir ses sarcasmes grivois.
– Pourquoi est-ce que tu voulais venir ici, alors ?
Thîen retira un à un les emplâtres poisseux sur la peau du barbare. Elle était blanche, à peine halée par le soleil, avait l'air de rougir plus vite qu'elle ne bronzait. Elle était marquée de nombreux hématomes, la plupart petits et ronds, marque des impacts de la lance de la licorne. Ils recouvraient presque les tatouages sur le corps du barbare, les runes et symboles de sa tribu, gravés sur sa peau dans un noir que le temps avait passé. Il en avait sur tout le corps, jusque sur les contours de son visage et probablement aussi sur son crâne, mais sa tignasse coiffée en arrière les avait sans doute recouverts. Il avait entendu dire que les barbares se rasaient sans cesse certaines parties du crâne, au gré de leurs fantaisies capillaires. Ils arrêtaient de le faire quand ils quittaient leurs tribus, et les cheveux du sauvage avaient l'air d'avoir repoussé tels quels depuis, hirsutes, à des longueurs désordonnées en fonction des dernières crêtes improbables qu'il avait du porter.
On ne voyait plus de ses tatouages faciaux que quelques traits et points sur son front, son menton et ses pommettes, plutôt harmonieux à défaut d'être discrets.
– Je te l'ai dit... souffla le barbare, étrangement calme. Je cherche quelqu'un.
Les pansements avaient une odeur forte qui envahit bientôt la petite alcôve et fit grimacer l'étranger. Il se laissait soigner sans broncher, ramassa sa tignasse par-dessus son épaule pour dégager son dos puissant. Les symboles sur sa peau suivaient les lignes de ses muscles jusqu'à la chute de ses reins. Thîen-zin garda les yeux obstinément posés sur ses omoplates. Si la vue ne le laissait pas indifférent, elle était beaucoup moins émoustillante que le reste. L'ampleur de sa propre frustration lui faisait parfois peur. Il en prit encore plus conscience lorsque le barbare tourna la tête pour l'observer par-dessus son épaule, le fixant de son regard d'un bleu intense. Thîen n'avait pas remarqué qu'il avait les yeux si clairs. C'était plutôt rare, chez les humains du coin.
– Il y a une dizaine de jours, une licorne a enlevé une jeune fille pendant une partie de chasse. Je veux savoir ce qu'elle est devenue.
Thîen se ressaisit et tira délicatement sur une longue feuille verte collée dans le dos du barbare. La peau était humide en dessous, marquée d'une barre violette à cause d'un coup de bâton.
– Ce n'est pas moi, se contenta-t-il de répondre. C'était une autre licorne.
Le barbare sourit. Accoudé à son propre genou, le front appuyé contre sa paume, il continuait de le fixer comme si de rien n'était. La pudeur n'avait pas l'air de faire partie de son répertoire, mais Thîen l'avait déjà deviné.
– Je sais. Mais elle est ici, n'est ce pas ? La jeune fille.
Thîen jetait les feuilles macérées dans un bol en bois qu'il tenait sur ses cuisses. Assis de travers sur le chevet du lit, il voulut rester impassible mais se trahit d'un battement de cil.
– Oui, elle est là, finit-il par soupirer. Qu'est-ce que tu vas faire ? M'assommer pour aller la chercher ?
Le barbare éclata de rire, un son qui commençait à devenir aussi agréable que familier. La question avait été purement rhétorique, de toute manière. Découvrir leur village en suivant une créature ou en la menaçant, c'était une chose. Mais s'en évader alors qu'on y était arrivé inconscient, c'était impossible. Le barbare se perdrait dans la forêt, serait dévoré par les monstres qui rôdaient dans un territoire si sauvage. Les créatures magiques devaient se réfugier dans l'enceinte du village à la nuit tombée, une ceinture épaisse et dense de rondins, de lierre et de ronces qui protégeaient les maisons comme les habitants. Même les loups leur demandaient parfois asile, jurant de ne pas mordre les mollets des satyres, de laisser les nymphes en paix et de ne pas attaquer les autres animaux qui avaient trouvé refuge dans leur havre forestier. Thîen-zin était le seul à vraiment savoir se battre, ici. Il y avait eu des centaures autrefois, qui veillaient sur le royaume de Lorana, mais ils étaient partis depuis longtemps et n'avaient laissé que des murs et des arches en ruine. Le village s'était bâti entre elles, amoncellement de maisonnettes couvertes de lierre et de cabanes dans les arbres, quand ceux-ci n'étaient pas eux-mêmes les maisons de certaines créatures.
– Je veux juste savoir comment elle va… répondit simplement le barbare.
Il s'exprimait lentement, prenant sans doute le temps de formuler correctement ses phrases pour ne pas faire d'erreurs de langage en plus de son accent prononcé. Il s'exprimait avec la rigueur et le niveau de langue d'un étranger qui avait appris dans les livres, ou bien auprès d'un précepteur, au lieu de s'imprégner dans les rues de la parole du peuple, comme cela se faisait d'ordinaire. C'était curieux, tout autant que sa réserve et sa docilité, des qualités étonnantes pour une montagne de muscles comme lui.
– Tu n'es pas un mercenaire engagé par le royaume, souffla Thîen-zin en comprenant soudain. Ce n'est pas la récompense qui t'intéresse.
– Si c'est un barbare qui la sauve des bois pour la ramener au royaume, plus personne ne croira jamais que sa vertu est intacte, ricana le barbare en secouant sa lourde tête. Et si par hasard elle ne l'était effectivement plus… sauveur ou pas, ils n'hésiteraient pas à me faire pendre.
Thîen-zin jeta un coup d'œil en contrebas, à travers la rambarde de la mezzanine. La lourde épée de l'étranger gisait sur la mousse, à côté du reste de ses affaires et de ses bottes. De la garde royale. La curiosité l'emporta sur la réserve de la licorne.
– Tu n'es pas un soldat du roi… ?
Le barbare renifla d'amusement, s'étira longuement en tendant les bras le long de ses jambes puissantes. Thîen avait terminé depuis longtemps de lui retirer ses pansements mais restait assis à ses côtés, tout proche, le regard rivé dans le sien.
– Mon nom est Sobaka. Ca veut dire chien, dans une des langues du nord. C'est comme ça qu'ils m'appellent, et c'est tout ce que je suis, pour eux.
Il souriait toujours, mais son regard était amer. Thîen comprenait, maintenant, pourquoi les intentions du barbare ne l'avaient pas alerté, pourquoi il n'essayait pas de s'enfuir et restait sagement là, assis sur son lit, à discuter avec lui le plus naturellement du monde. L'étranger n'en voulait pas à sa corne ou aux créatures qui se cachaient dans le village, au plus profond des bois. C'était pour ça qu'il l'avait poursuivi dans la forêt sans chercher à le tuer.
Il n'était rien d'autre qu'un loup domestiqué, un molosse qui s'était enfui loin des coups de bâton à la première occasion. Les autres humains l'avaient sans doute cru trop bête pour comprendre qu'aucune récompense ne l'attendrait, s'il parvenait par miracle à retrouver la jeune fille qu'on l'avait distraitement envoyé chercher.
– Tu parles plutôt bien, pour un animal de compagnie…
Le barbare eut un mystérieux sourire, puis haussa les épaules.
– On ne fait jamais attention au chien qui est assis dans un coin, pendant que les enfants prennent leur leçon. Puisqu'il monte la garde, on croit qu'il n'écoute pas.
Il releva les yeux vers la lucarne, au plafond. Le ciel était enfin redevenu bleu. Il avait fait orage juste après leur combat, et Thîen avait dû le ramener sous la pluie, trempé jusqu'aux os. Ils avaient eu de la chance de ne pas tomber malade.
– Mais ça ne me dérange pas qu'ils me voient comme ça, continua Sobaka avec une expression malicieuse. Il faut être à moitié animal pour savoir que vous existez. Que les jolies licornes… sont encore plus jolies avec des traits d'hommes.
Son incroyable regard bleu s'était détourné du visage de Thîen, pour s'égarer sans gêne en direction de ses cuisses. Cela n'irrita pas la licorne, pas plus que la fois d'avant, quand il l'avait ostensiblement reluqué, dans la clairière. Cette fois, ça lui donnait presque envie de sourire.
– Ravale tes compliments. Tu dois être sacrément amoureux de cette fille pour avoir couru comme ça pour la retrouver.
Le sourire de Sobaka était plus large que jamais, et ses yeux pétillaient de malice. Comme dans la forêt, quand il lui avait lancé des piques grivoises en esquivant ses coups de lance.
– Tout le royaume est amoureux d'elle. C'est la princesse.
Thîen-zin ouvrit des yeux ronds comme des billes.
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La joue de Ménoly reposait tout contre la poitrine ronde de Lorana. Les yeux clos, sa main délicate était appuyée sur le ventre blanc et souple de sa compagne.
Distraitement, Lorana attrapa une boucle dorée de la petite humaine et se mit à jouer avec, dans un rayon de soleil qui perçait les volets. Le corps de la jeune fille reposait sur le sien, tranquille dans son sommeil, les jambes emmêlées aux siennes et au drap blanc qui les couvrait à peine. Ménoly avait de très jolies hanches et un fessier arrondi, comme deux adorables pommes que Lorana ne se lassait pas de contempler. Elle baissa doucement la tête, faisant choir une mèche immaculée qui s'entortilla autour de la corne splendide qui jaillissait de sa chevelure.
La licorne ne supportait que les jeunes filles pures, aussi fraiches que jolies, dans la fleur de l'innocence. Le toucher des hommes les souillait irrémédiablement et ne lui inspirait plus que répulsion et dégout. Alors il fallait qu'elle les choisisse avec soin avant de les emmener dans son royaume, qu'elle observe de loin toutes les jeunes vierges qui s'aventuraient dans les bois afin de choisir la bonne. Ménoly était de loin la plus magnifique, aussi grâcieuse que raffinée, joli bouton d'or délicat. Elle était la plus curieuse, aussi. Car sitôt que Lorana avait repris forme humaine devant elle, après l'avoir conduite dans son village au fond des bois, la jeune princesse n'avait pas tardé à succomber aux charmes de la belle licorne pour découvrir avec elle les plaisirs les plus doux.
Dans le cocon chaleureux de sa chambre, nichée dans une cavité naturelle du plus grand arbre creux du village, elle partageait sa couche depuis maintenant plusieurs jours. Le mobilier était en rondin, loin du marbre du palais de la jeune princesse, mais Lorana était de sang royal elle aussi et avait un goût prononcé pour les voilures précieuses et les soies les plus raffinées. Leurs deux corps nus, tendrement enlacés, méritaient bien des tissus aussi nobles pour leur servir d'écrin.
Thîen donna un coup de pied si violent dans la porte sculptée qu'elle faillit être arrachée de ses gonds. Les deux jeunes femmes poussèrent le même cri effrayé et se redressèrent vivement, remontant le drap sur leurs poitrines. Loin de s'émouvoir, Thîen se planta devant le lit, pointant sur Lorana un index accusateur.
– Est-ce que tu te rends compte des risques que tu nous fais prendre ? s'emporta le jeune homme d'une voix furieuse. Tout ça pour une autre petite gourde ?
– Petite gourde ? s'offusqua Ménoly en se redressant.
Lorana la fit taire d'un mouvement de main avant de foudroyer l'autre licorne du regard.
– Ne t'en fais pas, ma chérie. Il ne sait pas ce qu'il dit.
– Oh si, je sais, gronda Thîen-zin en croisant les bras. Les paysannes, ça passe encore, pour les humains, ça devient des contes de fée. Mais une princesse ? Est-ce que tu réalises ? Un soldat m'a suivi jusqu'ici juste pour la retrouver ! Et ça ne sera pas le dernier !
Ménoly posa une main sur sa bouche dans un geste horrifié, comme l'adorable petite gourde qu'elle était. Lorana, impassible, congédia Thîen d'un impérieux geste de main.
– La princesse est ici de son plein gré. Son père le comprendra tôt ou tard. Et quand elle le voudra, elle rentrera chez elle couverte de gloire et de félicité. Tu n'as rien à me dire !
Agacé, Thîen roula des yeux. Il n'avait aucune légitimité à obéir aux ordres de Lorana. Elle n'était la princesse que d'un royaume en ruine, un tout petit village forestier, avec les créatures des bois pour seuls sujets. Elle était tout juste puissante pour une licorne, et si ses pouvoirs permettaient de maintenir en place la barrière qui protégeait leur havre, avec sa corne en guise de lance, Thîen était tout autant efficace pour les défendre que sa modeste magie.
Il abandonna les deux jeunes femmes d'un pas rageur. Il savait que ce n'était pas la peine d'essayer d'argumenter, quand Lorana s'était entichée d'une jeune vierge. Mais il avait au moins la preuve que le barbare n'avait pas menti : cette fois, ce n'était pas une petite bergère que la licorne avait ramené, comme elle avait d'abord voulu lui faire croire.
Le soleil se couchait sur le village. Il y avait encore de l'animation, dans le bosquet où s'enchevêtraient des ponts de cordes et des escaliers de bois. Des fées allumaient les lanternes en prévision de la nuit à venir et un groupe de troll, aux oreilles aussi grosses que leurs nez, faisaient rouler des tonneaux vers une grande cabane ronde.
Thîen regagna la sienne avec amertume. Il était le seul ici, avec Lorana, à pouvoir prendre une vraie forme humaine. Il se mêlait parfois aux hommes, en toute discrétion, pour observer leur monde et s'assurer qu'ils ignoraient toujours tout de leur village au fond des bois. Mais sa maison était ici. Sa place, son rôle était de veiller sur ce domaine. Peut-être qu'un jour les centaures reviendraient, attirés par la princesse licorne qui s'était établie sur leur ancien royaume. Mais en attendant… c'était le seul endroit au monde où on avait besoin de lui.
Il retrouva Sobaka là où il l'avait laissé, nu dans son lit que le soleil n'éclairait plus. Un faisceau de lumière tombait sur le plancher par la lucarne refermée. Quand il faisait nuit, la lune éclairait toujours les alentours de la couchette Thîen ne se sentait pas à l'aise dans le noir complet.
Sobaka ne l'avait pas attendu et terminait d'avaler un bol de soupe. Cela surpris la licorne, qui s'assit au bout du lit.
– C'est une nymphe qui me l'a apporté, expliqua-t-il de sa voix grave.
Il déposa le bol sur le sol avant de l'observer.
– Il n'y a pas beaucoup d'hommes, par ici, n'est-ce pas… ?
Son sourire était plus compatissant que moqueur et Thîen-zin soupira pour toute réponse. Sobaka posa le bout des doigts sur le genou pâle de son geôlier, juste au dessus de ses bottes, caressant sa peau d'un geste distrait. Thîen frissonna mais ne recula pas, le regardant faire.
– Tu n'es pas une licorne d'ici, non … ? continua le barbare à mi-voix.
Sa paume remonta inexorablement le long de sa cuisse, avant de redescendre. Son accent, agréable à l'oreille, apaisa un peu la contrariété de Thîen. Ce dernier ne répondit pas et redressa le regard vers le barbare. Il avait une silhouette massive et des traits affirmés. Il ne devait certainement pas plaire à tout le monde, surtout auprès des humains qui avaient des goûts si particuliers. Mais lui, plus il le regardait dans la lumière déclinante du soir, et plus il sentait son aine se réchauffer. Les épaules larges et le torse puissant, l'étranger avait un vrai corps d'étalon, comme les détestait Lorana. Lui, ça ne lui déplaisait pas.
Lentement, Sobaka entreprit de défaire les lacets sur les jambes souples de la licorne, qui oublia encore de lui demander d'arrêter.
– Tu es quoi… un Kirin ? Un métis, peut-être … ?
Thîen haussa les épaules, la tête ailleurs. Les bleus sur le corps du barbare s'étaient déjà estompés sous l'action des herbes qu'ils lui avaient posées. Distraitement, il suivit du regard les lignes de ses tatouages, les formes géométriques et les symboles courbés qui marquaient sa peau. L'étranger lui retira ses bottes en lui arrachant un frisson, libérant les jambes galbées qu'il savait si redoutables.
– Tu dois te sentir seul…. souffla Sobaka en croisant son regard.
Il avait le même air amusé que lors de leur affrontement, un peu provocateur, un peu séducteur. Au moins, il n'avait jamais caché ses intentions à l'égard de la licorne et semblait parfaitement assumer sa sexualité. Thîen avait bien compris que ses avances grivoises étaient un petit peu sincères, et que le barbare l'aurait volontiers chevauché à cru en plein milieu de la clairière. Mais il avait trouvé la chose aussi déplacée qu'inappropriée, pendant leur combat. Seulement, sa discute fugace avec la princesse lui avait mis les nerfs à vifs.
C'était vrai qu'il se sentait seul. Il était le seul homme ici –à part les satyres, mais ils ne comptaient pas – et les humains des alentours n'avaient pas… les mêmes mœurs que lui et Sobaka. Ce dernier lui adressa un sourire presque timide, comme pour lui demander la permission. Thîen oublia sa colère à l'encontre de Lorana et de sa nouvelle petite potiche.
Le ressentiment s'apaisa, se mua plutôt en une envie de tout envoyer promener. Lui aussi, il avait le droit de faire ce qu'il lui plaisait. Il était le seul à vraiment protéger ce village et ses habitants, sans que personne ne l'en remercie jamais.
Quand la paume calleuse de Sobaka remonta le long de sa cuisse jusqu'à se glisser sous les plis de son pagne de toile brune, Thîen ferma les yeux. La bouche du barbare s'empara de ses lèvres avec un mélange de d'impatience, de désir et de curiosité. Sa langue s'aventura même pour chercher la sienne, et la licorne ne se fit pas prier.
Le corps de l'étranger était agréablement ferme et chaud, sa peau frémissait sous les caresses et invitait à être parcourue des doigts. Sobaka l'embrassait avec une douceur étonnante pour la réputation des barbares. Mais c'était avec un désir évident qu'après les bottes de la licorne, il entreprit de délacer son haut. C'était une pièce de cuir clair, étroite et courte, qui ne servait d'habitude qu'à protéger sa peau de l'épaulière de plate ou des autres pièces d'armures que pouvait porter Thîen. Une seule protection à la fois, pour ne pas s'alourdir. Il tira sur les derniers lacets tandis que la licorne s'asseyait plus confortablement sur le lit, caressant les larges pectoraux de Sobaka, effleurant des doigts les marques sombres tatouées sur sa peau. L'étranger, enflammé de désir par ses attouchements, attira sa taille souple à lui d'une poigne possessive.
Thîen-zin n'avait pas des muscles saillants comme ceux du barbare. Leur dessin n'était pas aussi net, leurs lignes aussi creusées, mais ils étaient solides sur son corps athlétique. Thîen était léger mais loin d'être frêle, souple mais fort, comme l'avait démontré son redoutable jeu de jambes. Serrant sa taille de ses larges mains, Sobaka rompit le baiser, leurs respirations s'entremêlant un instant. Le barbare frôla ses lèvres, fit mine de vouloir à nouveau les goûter. Mais il grimaça soudain et fixa le front de son compagnon.
– C'est gênant, ta corne… tu ne veux pas l'enlever… ?
Thîen fit la moue, hésitant. Il chercha une excuse à lui donner mais Sobaka comprit, amusé.
– Tu ne me fais toujours pas confiance...
Il l'embrassa quand même, sans que son hôte trouve à y redire. Il descendit jusqu'à sa taille pour défaire lentement le pagne autour des hanches de la licorne. L'étoffe plissée résista un peu et Thîen, agenouillé, se redressa pour lui faciliter la tâche. Les mains du barbare le faisaient frémir d'anticipation, s'égaraient sur ses reins plus qu'elles ne le devaient. L'étranger sembla prendre un malin plaisir à faire glisser le tissu sur la peau de Thîen en le retirant, lui arrachant de longs frissons. Il lui restait sa ceinture d'étoffe, qui d'ordinaire lui ceignait les hanches et pendait entre ses jambes. Dernier rempart de sa pudeur, il avait pourtant hâte que Sobaka la retire, tout comme le reste. Le barbare s'immobilisa un instant, le tissu entre les doigts et le sourire léger, puis allongea doucement la licorne en arrière. Son corps puissant recouvrit bientôt celui de Thîen, massif, imposant, autant que le désir qui se pressait contre le sien et enflamma délicieusement son aine.
S'il avait encore des scrupules à coucher avec cet inconnu, cet étranger sorti de nulle part qui l'avait poursuivi dans toute la forêt, Thîen les envoya promener. Il n'avait jamais été du genre à se poser beaucoup de question, surtout dans ce genre de situations. Il se serait traité de fou s'il avait refusé un homme pareil.
Sobaka fit mine de donner un coup de bassin contre le corps de son hôte, qui étouffa un son de désir contre ses lèvres. Les doigts de Thîen s'agrippèrent à sa nuque, s'enfouirent dans les mèches sombres qui tombaient sur son visage, réclamant un baiser plus vorace pour combler l'envie et la frustration qui montaient en lui. Il emprisonna d'une étreinte solide les hanches du barbare entre ses cuisses, pour l'empêcher de reculer et le presser d'accélérer les choses. Sobaka en gronda de plaisir, habitué sans doute à devoir lui-même soutenir ses amants, qui n'avaient pas la force ou la souplesse nécessaire pour s'accrocher à lui.
La tête à l'envers dans son propre lit, Thîen ne tarda pas à perdre le peu de raison qui lui restait. Ses reins le brûlaient autant que sa peau tout contre celle du barbare. Le torse large de l'étranger était pressé contre le sien, l'écrasait presque de sa fougue et de sa passion. Il savait pourtant que d'un coup de rein, il aurait pu inverser les choses et le chevaucher à sa manière, mais c'était agréable, quelque fois, de s'abandonner dans des bras aussi forts.
Il le sentit à peine malmener ses chairs pour le préparer à l'accueillir. La grande main de Sobaka s'était enroulée autour de lui, pressait leurs membres l'un contre l'autre pour les masser avec une lascivité déroutante. Cela ne fit qu'augmenter le désir et l'impatience de la licorne, déjà enivré par le plaisir que son amant lui donnait.
Quand le barbare le posséda enfin, d'un coup de rein aussi lent que prudent pour forcer le passage de sa hampe en lui, Thîen bascula la tête en arrière, éparpillant ses longs cheveux blancs éparpillés sur les draps et gémissant sans la moindre honte. Cela lui fit mal, forcément, mais il avait connu de souffrances bien pire que celle d'être lentement pénétré par un barbare séduisant. Sobaka eut la délicatesse de le laisser s'habituer à lui, glissant peu à peu dans la chaleur de son corps, embrassant sa gorge et son épaule qu'il chatouillait de son souffle. Puis il commença à bouger, donnant des coups de rein aussi lents que profonds, et Thîen-zin le suivit de ses hanches, les cuisses serrées autour de lui, le dos cambré sur son matelas.
C'était bon à en perdre la tête. Les lèvres du barbare étaient brûlantes sur sa peau, son regard bleu, aussi farouche que passionné, le faisait vibrer de désir aussi violemment que ses mouvements de bassin. Thîen regretta presque d'avoir attendu si longtemps pour succomber à la chaleur de ses bras. Dans la clairière où ils s'étaient battus, ils auraient pu connaître d'incroyable délice.
Sobaka était à la fois fougueux et tendre, serrant sa taille et ses cuisses d'une poigne possessive, ravageant ses reins d'allées et venues puissantes, mais jamais brutales. Il grondait de plaisir contre sa peau, murmura contre son oreille des paroles incompréhensibles dans sa langue maternelle, avec son accent si chaud et envoûtant. Thîen gémissait sans se retenir, soupirait de plaisir, se cambrait encore et encore pour accompagner les coups de reins qui labouraient ses chairs. Il avait oublié comme c'était bon d'être enlacé comme ça, possédé par un homme de la trempe du barbare, qu'il découvrait aussi bon amant que chasseur. Meilleur, même, songea la licorne dans un éclair de lucidité, avant qu'un plaisir intense ne lui vrille l'entrecuisse et ne lui fasse définitivement oublier commet réfléchir. Il perdit complètement le compte du temps et le fil de ses réflexions, ne respirant plus que le parfum entêtant de son amant, mélange de musc et d'herbes médicinales. Il ne pensait à rien d'autre qu'à la hampe imposante qui lui vrillait les reins d'un plaisir insoutenable. Etourdi, sonné, il se laissa emporter sans même se sentir venir et se tendit brusquement entre les bras du barbare, écorchant son dos en gémissant de plaisir.
Sobaka, le regard rivé dans le sien, chassa les cheveux blancs que la sueur avait collés aux tempes de Thîen. Sa main resta posée sur le haut de son crâne, juste en dessous de la corne noire qui perçait sa chevelure. Il l'embrassa avec chaleur, jusqu'à s'assouvir lui aussi entre ses cuisses resserrées, sous les caresses des paumes de Thîen qui avaient glissées sur ses reins. Le jeune homme, essoufflé, échappa un sourire contre ses lèvres.
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Il leur fallut un moment pour se remettre de leur étreinte un peu précipitée.
Sobaka s'était adossé contre le mur, assis en tailleur sur le matelas moelleux, serrant étroitement la taille de la licorne installée entre ses cuisses. Aussi gourmand que joueur, le barbare chassait les longs cheveux de Thîen pour couvrir ses épaules de baisers fugaces, caressant son nombril du bout des doigts. C'était presque la pleine lune et un rayon de lumière perçait l'ouverture de la lucarne, éclairant un bout du matelas et une partie du plancher. Ils se voyaient presque comme en plein jour, réchauffé l'un et l'autre par la chaleur de leurs corps.
– Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? murmura Thîen en laissant sa tête reposer contre l'épaule du barbare. Tu ne peux pas retourner dans ton royaume, sans la princesse…
Ce dernier embrassa le creux de sa gorge avant de répondre, passant par réflexe une main dans ses propres cheveux noirs pour les recoiffer en arrière.
– Pourquoi retourner parmi les humains… ? Il y a de bien plus jolies choses dans la forêt.
Thîen le sentit sourire contre son épaule. Et durcir aussi, tout contre ses reins. Si la brutalité des barbares était une simple légende, leur libido, elle, était apparemment bien réelle. Il tendit la main en arrière pour passer son bras autour de la nuque de l'étranger.
– Il y a des choses dangereuses aussi… des monstres, la nuit… et des chasseurs ...
Sobaka se mit à rire et dans une longue caresse, descendit sa paume le long des flancs de la licorne pour caresser ses hanches.
– C'est pour ça qu'il y a ce village. Et ta lance pour le protéger.
Il enroula ses doigts autour de la verge de Thîen et ce dernier se cambra, réagissant aussitôt, pressant sa croupe contre le membre tendu du barbare. Son corps était encore bercé par le bien-être de leur dernière étreinte, enveloppé d'un nuage de confort et de plaisir diffus. Pourtant, son désir se réveilla aussi brutalement que des braises attisées par un tisonnier et il devança Sobaka, n'attendant pas qu'il lui empoigne les hanches pour s'empaler sur lui. Thîen se mordit la lèvre en le sentant de nouveau s'enfoncer aux creux de ses reins, encore humides et chauds du plaisir du barbare, lui vrillant l'échine autant que les tempes d'un plaisir intense et immédiat. Guidé par la poigne assurée de l'étranger, qui soulevait sa taille comme s'il ne pesait rien pour s'enfoncer toujours plus loin dans la douceur de son corps, la licorne s'agrippa plus fort à sa nuque et le chevaucha avec ferveur.
– Vraiment… tes cuisses… sont redoutables… susurra Sobaka dans le creux de son oreille.
Thîen voulut lui jeter un regard assassin, mais préféra se venger à sa manière. Le dos cambré, les bras noués autour de la nuque du barbare pour se cramponner à lui, il bougea lentement sur sa hampe imposante, l'accueillant tout doucement dans l'étroitesse de ses chairs, soupirant de plaisir et d'excitation mêlés.
Sobaka ne tint pas longtemps à ce rythme délibérément retenu. D'un coup de bassin, il grogna de frustration et le fit basculer à genoux sur les draps, enroulant étroitement les bras autour du corps de Thîen pour lui faire subir des assauts plus sauvages et effrénés. Son corps écrasa le sien, l'enveloppa, presque possessif. Le torse de la licorne était plaqué contre la couchette mais ses hanches étaient relevées, l'échine traversée par de longs frissons d'envie. Ses genoux s'enfoncèrent dans le matelas, tout contre ceux du barbare qui lui labourait les reins avec tant de passion.
Etourdi, surpris par le plaisir qui déferla soudain en lui, Thîen oublia encore une fois de protester. Il préféra savourer et se laissa faire, docile, comme une façon de se faire pardonner pour la raclée monstrueuse qu'il avait donnée dans les bois au barbare.
L'honneur était important, pour Sobaka. Et il avait bien l'intention de combler son hôte d'autant de plaisir qu'il en prenait, sans la moindre rancune pour sa défaite dans la forêt.
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La lumière de l'aube réveilla Thîen-zin, accompagnée par le pépiement des premiers oiseaux. Le soleil était encore bas et la lumière grisâtre. Il ouvrit les yeux et vit que ses poings reposaient devant lui sur le matelas, recouverts par la grande main de Sobaka. Cela le surprit, puis il réalisa qu'il sentait tout contre son corps celui de l'humain. Son torse large était pressé contre son dos et ses cuisses fermes épousaient les siennes. Il frémit sans comprendre pourquoi, enveloppé par l'étreinte du barbare qui lui serrait la taille d'un bras endormi.
L'étranger ne s'était pas enfui. Il n'avait pas profité de son sommeil pour tenter de l'attaquer ou de le mettre hors d'état de lui nuire. Il était resté là, simplement, pour l'enlacer et dormir avec lui après leur nuit agitée. Thîen fut tenté de se retourner pour le regarder dormir mais il s'en abstint, troublé. Le souffle du barbare caressait ses cheveux et chatouillait sa nuque, mais ce n'était pas désagréable. Il lui fallut un moment pour retrouver le sommeil, perturbé par cette proximité qu'il refusa pourtant de quitter.
Il n'arrivait même pas à se sentir coupable d'avoir couché avec lui, alors qu'il le connaissait à peine et que Sobaka était plus ou moins son prisonnier. Il allait d'ailleurs le rester un bon moment. Il ne pouvait pas laisser partir un humain qui avait vu leur village et connaissait tant de choses sur eux. Il était plus âgé et solide que les jeunes filles que Lorana séduisait, et la princesse licorne ne parviendrait sans doute pas à lui effacer la mémoire comme elle le faisait pour ses compagnes lorsqu'elles voulaient rentrer chez elles.
Les humains pensaient que les licornes apportaient la bonne fortune et que leurs cornes pouvaient guérir tous les poisons. Certains n'hésiteraient pas à brûler la forêt pour les dénicher s'ils savaient dans quel endroit se cachait l'une d'entre elles. Thîen s'étonnait d'ailleurs que les soldats du royaume n'en soient pas encore arrivés à cette extrémité. Est-ce qu'ils avaient trop peur de déchainer les monstres qui rôdaient aussi profondément dans les bois ? Finalement, ils n'avaient eu qu'une seule chance de récupérer la princesse, et ils l'avaient bêtement gaspillée.
Cette seule chance, elle dormait là, dans son lit, et le serrait dans ses bras comme s'il était le plus fragile des trésors.
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Sobaka passa les doigts dans ses cheveux pour coiffer en arrière toutes ses mèches éparpillées. Thîen avait refusé de lui rendre son épée mais lui avait permis de s'habiller – ou plutôt, le lui avait ordonné, parce que le barbare n'était pas gêné à l'idée de se promener nu en sa compagnie.
La licorne l'attendait sur le seuil de sa maison. Rhabillé lui aussi, il décroisa les bras quand le barbare le rejoignit, et lui emboita le pas.
– Il y a un lac, là-bas, pour se laver. Il faut faire attention aux néréides, elles… tu m'écoutes ?
Thîen se retourna, les poings sur les hanches, et Sobaka redressa vivement les yeux pour lui adresser un sourire rêveur. Il s'était laissé absorber un instant par les cheveux blancs de la licorne, qui se balançaient contre ses reins à chaque pas qu'il faisait. En comprenant la raison de son absence, Thîen leva les yeux au ciel, avant de sursauter.
– Ménoly ! Non ! Reviens !
Lorana s'était précipitée contre la balustrade de sa cabane, un drap à peine noué autour de sa poitrine. Ménoly l'ignorait, les boucles en bataille, descendant précipitamment les marches accrochées sur le tronc de l'arbre. Habillée à toute vitesse, elle remontait à la hâte la bretelle d'une robe de soie blanche.
– Je dois en avoir le cœur net ! cria la jeune humaine en sautant les dernières marches. Si c'est un soldat de mon père, je d…
Elle se figea, pieds nus dans l'herbe verte, sous l'œil incrédule des créatures qui peuplaient le village et que l'incartade avait attiré.
– Soba ! s'écria soudain la princesse.
Elle se précipita vers le barbare.
Ce dernier sourit d'une façon que Thîen ne lui connaissait pas encore, avec tendresse, mais aussi avec espièglerie. Ou un soupçon d'insolence ? A l'approche de sa princesse, il s'inclina pourtant, genoux à terre.
– Mais qu'est-ce que tu fais ici ? On m'avait dit qu'un soldat… c'était toi ? Tu es venu me chercher ?
Elle voulu se jeter à son cou mais se rappela qu'elle n'en avait plus l'âge, depuis très longtemps déjà. Et puis, Lorana la fixait d'un regard sombre, inquiète de cette proximité avec un vulgaire mâle qui empestait qui plus est l'odeur de Thîen-Zin. Sobaka lui fit un respectueux baisemain, la nuque courbée mais le regard mutin.
– Ma vie vous appartient, princesse. Depuis que vous m'avez sauvé de la potence pour faire de moi votre animal de compagnie.
La jeune fille rosit, sans doute troublée par ces termes que le barbare n'avait encore jamais employé devant elle. Elle le revoyait encore pourtant, ensanglanté, ébouriffé, si jeune à l'époque. Mais déjà plus vieux qu'elle, qui n'était alors qu'une toute petite enfant encore si capricieuse.
– Toutefois…
Sobaka se redressa souplement, retrouvant cet air railleur que Thîen commençait à connaître, presque autant que son accent ensorcelant.
– J'ai payé ma dette. Vous avez sauvé ma vie… et je suis désormais assuré que la votre est hors de danger. J'ai été enchanté d'être à votre service, altesse. Vous resterez toujours ma petite princesse.
Il lui embrassa la paume cette fois, chastement. Mais son regard intense en disait long sur ce qu'auraient pu devenir ses relations avec la jeune fille si Lorana ne l'avait pas enlevée. Plus embarrassée que jamais, Ménoly resta bouche bée et le regarda s'éloigner, emportant avec lui ses premiers émois de jeune fille. Ce barbare qu'elle avait pris à son service, toujours dans son ombre, toujours à ses côtés, si tendre avec elle, de plus en plus proche à mesure qu'elle grandissait… Elle avait pourtant suivi Lorana sans même penser à lui, ni à son corps viril qui avait trop souvent hanté ses rêves d'adolescentes.
Thîen fixait Sobaka d'un air soupçonneux. Il saisissait un peu mieux maintenant ce qui avait poussé cet idiot de barbare à poursuivre une licorne à travers les bois. Mais la rupture brutale le surprenait. Il n'avait pris tout ces risques que pour payer sa dette envers la princesse ? Il ne tentait même pas de la reconquérir ?
Thîen comprit plus ou moins quand, revenu à sa hauteur, Sobaka lui adressa son plus beau sourire. Et lui pelota joyeusement la croupe.
– Est-ce que tu as besoin d'un chien domestique ? Je sais faire le beau et monter la garde. Je peux même aboyer, si tu veux.
La licorne croisa les bras, non sans jeter à son tour un œil vers le fessier musclé du barbare.
– Je vais y réfléchir… Mais je crois que le chien à d'abord besoin d'un bain, dit-il en fronçant les sourcils.
Goguenard, Sobaka le suivit sans réfléchir à travers le village, d'un pas aussi nonchalant que guilleret. On lui avait bien dit que ça portait bonheur, de toucher une licorne.
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Merci d'avoir lu jusqu'ici !
J'avoue que ça me manquait un peu de publier sur fpress. J'ai terminé une histoire à chapitres il y a quelques semaines et je crois que je ne vais pas tarder à la mettre ici ! Vous pouvez déjà la retrouver sur un blog dédié, et pour suivre toutes les actus et publications, j'ai créé une page facebook, Jaïga - CJ Sterne ! :D
J'espère vous avoir corrompu au uniporn avec cette petite histoire, et je vous souhaite une bonne fin de journée !