Bonjour à vous 3

Ça, y est c'est officiel ! Je suis très heureuse de vous annoncer que, très prochainement, vous pourrez retrouver « A croc » dans le catalogue MxM Bookmark, sous mon nom d'auteur : Camille Jedel.

Pour ceux qui attendait la suite de cette histoire, elle va venir, toute belle, toute retravaillée, mais pas sur Wattpad. Je laisse le premier chapitre pour ceux qui souhaitent découvre les premiers mots.

A très vite !

Camille

PS : chapitre non corrigé


Chapitre 01

Lorsque des pieds froids se collèrent sournoisement à ses jambes et le tirèrent du sommeil, Alexey n'eut pas besoin de regarder son réveil pour connaître l'heure.

Cinq heures quarante. Ou tout proche.

Dans un grognement, son compagnon se glissa sous son bras pour se presser contre son torse. Assoupi, Isas embrassa sa poitrine et marmonna un « froid »à peine perceptible. Ce simple mot justifiait ce sketch qu'il répétait inlassablement chaque matin depuis sept ans.

Déposant un baiser sur son front, Alexey se détacha délicatement de son homme qui rouspéta et le menaça de rupture s'il ne revenait pas se coucher. Mais comme d'habitude, avant qu'il n'ait achevé sa plainte, Isas avait disparu sous l'épais édredon, happé par ses rêves.

Debout face au lit, un sourire aux lèvres, Alexey laissa la satisfaction lui réchauffer la poitrine. Il aimait regarder Isas dormir dans leur tanière, là où il était en sécurité et heureux.

Il y avait eu un avant et un après Isas.

Avant leur rencontre, le froid de sa maison le laissait indifférent. Les températures basses n'étaient pas un problème pour lui et Alexey gardait le chauffage juste assez élevé pour lutter contre la perpétuelle humidité de la région. À l'arrivée d'Isas, il n'avait pas fallu trois nuits pour que l'humain tombe malade, chose que son loup avait très mal supportée. Depuis, Alexey se levait chaque matin en avance pour couper du bois et remettre en route le poêle. Son amant devait être en bonne santé. C'était ainsi, une loi de sa nature.

Isas était son compagnon, sa famille. Si en tant que dominant, Alexey avait toujours été sensible au bien-être de la meute, il ne s'était pas attendu à cet instinct de protection démesuré. Son compagnon ne pouvait pas avoir mal ou être malade sans que ça le mette dans une rage folle ou entraîne une inquiétude disproportionnée.

Nu, insensible aux quinze degrés ambiants, il descendit les deux étages de leur maison. À peine eut-il ouvert la porte-fenêtre donnant sur le jardin que ses expirations se teintèrent de blanc. L'herbe gelée par le froid automnal craqua sous ses pieds, brisant les dernières minutes de silence de la nuit.

Le village encore endormi n'allait pas tarder à s'animer. Principalement habitée par une communauté de vignerons et de paysans, leur petite bourgade vivait avec la course du soleil. Si à vingt et une heures tout le monde était rentré et au lit, l'activité reprenait dès six heures.

Alors qu'Alexey abattait sa hache et fendait une bûche, deux yeux lumineux apparurent au fond de la cour. Personne, pas même un félin, n'était autorisé à entrer sur son territoire ! D'un grognement, il fit décamper le chat audacieux. Dans la panique, le tigré manqua rater son saut et se rattrapa in extremis avant de disparaître derrière un des imposants murs de pierres qui séparaient le jardin de la ville, garantissant à Isas et Alexey une intimité essentielle.

Revenant à l'intérieur, les bûches sous le bras, Alexey s'accroupit devant le vieux poêle. Lorsqu'il ouvrit la porte du foyer maculée de suie, un papier tomba à ses pieds. Sur une des faces était inscrit : « Je ne sais pas ce qui me manque le plus : toi ou ta chaleur ». Et sur l'autre : « Toi »suivi d'un « Je t'aime »qui fit trembler son loup.

Si Alexey avait des difficultés à dire ces trois mots, les lâchant avec beaucoup de parcimonie, Isas n'avait pas cette retenue. Il les lui chuchotait tout le temps. Pendant l'amour, lors de certains silences qu'il jugeait trop longs ou encore quand il était simplement de bonne humeur. Pas un seul de ces « Je t'aime » n'avait été un mensonge. Depuis le temps, Alexey avait appris à décrypter les battements du cœur d'Isas et il pouvait dire, avec précision, à partir de quel mot son compagnon prenait des libertés avec la réalité.

Une fois la flambée en route, Alexey remonta l'escalier en pierre qui menait au premier étage puis celui en bois pour rejoindre le deuxième. Machinalement, il se baissa pour caresser du bout des doigts, un des loups qu'il avait gravé sur les contremarches. Dès qu'Isas avait enfin accepté d'emménager chez lui, Alexey avait lui-même entièrement refait et aménagé la vieille maison pour la transformer en tanière confortable et accueillante.

Convaincre son compagnon de vivre ensemble lui avait pris deux ans, presque autant de temps que pour le persuader d'arrêter le préservatif. Isas n'avait rien voulu savoir, rien lâché. « Pas de test, pas de sexe sans latex », l'avait-il rabroué chaque fois qu'Alexey lui en avait fait la demande. Or, en tant que loup-garou, toute analyse de sang était impensable. À bout de nerfs, pris dans une guerre qu'Alexey avait compris impossible à gagner, il avait été trouver le seul médecin de la région au courant pour la meute. Il ne s'était jamais entendu avec le vieil homme à la retraite et solliciter un service avait été un très mauvais moment à passer. Avec ce sourire en coin qu'Alexey avait redouté, l'ex-praticien lui avait fait un faux, validant qu'il n'était porteur d'aucune maladie sexuellement transmissible.

Les souvenirs s'évanouirent au moment où il entra dans leur chambre. Il s'assit sur le fauteuil proche du lit, étira ses jambes pour que ses pieds reposent sur le bord du matelas et regarda Isas dormir. Il ne se lassait pas de cette activité. Il adorait se perdre dans ses pensées, bercé par le rythme lent et profond du souffle de son amant.

Il avait eu la chance de le rencontrer. Beaucoup de chance. Peu de loups trouvaient leur compagnon, encore moins un compagnon humain.

Jusqu'à ce qu'il plonge dans le bleu des yeux d'Isas, il s'était toujours dit que cet idéal familial n'était pas pour lui. Il n'y avait eu aucune nostalgie ou amertume dans cette pensée, juste un fait. Il ne s'attachait pas aux femmes et aux hommes qui partageaient son lit. Il couchait avec, les protégeait, mais c'était tout. Avec eux, en aucun cas, il n'avait été traversé par cette passion qui l'avait instantanément étreint avec Isas.

Dès qu'Alexey l'avait vu, dès la première seconde où son compagnon avait franchi la porte du bar, il avait su. Cet homme n'était pas juste un homme, mais son homme. La possessivité de son loup lui avait coupé le souffle. Si, depuis sa transformation, Alexey avait toujours vécu en ayant conscience de partager son existence avec un esprit animal, ça avait été la première fois qu'il avait perçu son loup avec autant de netteté. Sa peau s'était furieusement mise à le démanger, l'âme avec qui il partagé son corps s'éveillant au contact de celui qui leur était destiné. Et alors que leur rencontre l'avait mis dans tous ses états, Isas, lui, s'était contenté d'un rapide coup d'œil et d'un vague salut, avant de magnifiquement l'ignorer. Son compagnon, comme il l'apprendrait très vite, était rarement de son avis et ne faisait rien comme il l'espérait.

Ami avec certaines personnes de son groupe, Isas s'était naturellement assis à leur table et avait discuté avec tout le monde sauf lui. Quand, exaspéré et rongé par une jalousie encore jamais éprouvée, Alexey lui avait demandé pourquoi, Isas l'avait regardé de haut en bas, avant de lui dire avec franchise :

— Je ne parle pas aux connards qui croient en la suprématie de la virilité. Je suis gay. J'aime les queues et je ne pense pas que ça fasse de moi un sous-homme. Ça te pose un problème ?

Et ça avait commencé comme ça. Un silence autour de la table, puis des rires et des « Bonne chance ! » de la part de ses amis. Isas était… un fervent croyant de l'égalité. Il avait fait de cette pensée un combat qu'Alexey comprenait à moitié. Ce qu'il jugeait normal ou« pas si grave » était, pour Isas, un motif de débat. Toutes les causes y passaient : la justice sociale, l'équité salariale, l'intégration de tout ce qui pouvait être intégré, l'école, l'instrumentalisation du corps de la femme… Et il en oubliait tellement.

Quand la masse informe bougea sur le lit, son attention se porta sur le pied qui venait de sortir de sous la couette. Un pied fin et attirant qui retourna, tout aussi vite qu'il était apparu, à l'abri du froid.

— Fahim…

À l'entente du prénom chuchoté, il ressentit son loup jusqu'ici à moitié endormi se redresser d'un bond, les babines retroussées.

Aucun nom d'homme, autre que le sien, n'était autorisé entre ses lèvres. Isas était à lui. Rien qu'à lui !

Toute personne qui se mettrait entre son compagnon et lui était un futur cadavre.

— Qui est Fahim ? demanda Alexey, la voix grave, marquée par la dangereuse présence de son loup.

Isas lutta pour sortir de la couette et, les cheveux électrisés par les draps et le visage marqué par le sommeil, le regarda un long moment. Un sourire serein étira ses lèvres puis il referma paresseusement les yeux.

— Isas, qui est Fahim ? insista Alexey avec un calme froid, empêchant son compagnon de se rendormir.

À présent debout, il le surplombait de sa hauteur.

— Notre premier enfant…, lâcha enfin son amant avec une tranquillité déconcertante.

— Tu veux qu'on appelle notre enfant Fahim ?

— Oui. Tu es russe, je suis nippo-américain, il faut un prénom qui n'ait rien à voir avec nos origines.

— Tu veux avoir des enfants avec moi ?

La gorge nouée par l'émotion, Alexey eut du mal à prononcer cette phrase. Au moins pour la dixième fois depuis qu'il s'était réveillé, il pensa à quel point il aimait cet homme. Sûrement trop pour sa santé mentale, sûrement pas assez pour son cœur.

— Avoir des enfants n'est pas forcément une finalité, mais, avec toi, ça me plairait. Beaucoup.

— Tu comptes les porter ?

— Tu m'as pris pour Schwarzenegger dans Junior1?

Haussant un sourcil, un coin de ses lèvres relevé, Isas secoua la tête puis, lentement, son regard espiègle remonta le corps nu d'Alexey. Il s'attarda quelques secondes de plus que nécessaire sur sa virilité enflée avant de continuer son chemin jusqu'à ses yeux.

— Je vais te décevoir, mais je comptais plus sur l'adoption ou la GPA que sur ma capacité à enfanter. J'ai un peu commencé à m'intéresser à la paperasse, dit-il en bâillant et ébouriffant d'une main ses cheveux déjà en bataille.

Quelques semaines auparavant, ils en avaient parlé très brièvement. Juste comme ça. Comme un truc qui leur passait par la tête alors qu'ils observaient des enfants jouer dans la rue. Isas lui avait demandé s'il en voulait et Alexey lui avait répondu « pourquoi pas ». Si lui n'avait vu qu'une hypothèse dans sa question, cela avait visiblement été plus sérieux pour son compagnon.

— Isas, je sais que tu n'apprécies pas spécialement le sexe le matin. Donc, si tu ne veux pas qu'on ait un problème, arrête-toi maintenant avant que je doive aller me soulager seul dans la salle de bain.

— Les bébés te font bander ? lui répondit-il avec un sourire joueur avant de grimacer. Je retire ! C'était horrible comme question.

Après s'être redressé, la couette autour des épaules, Isas s'approcha et posa ses paumes sur les genoux d'Alexey, appuyés contre le bord du lit.

— Je t'aime.

— Je sais. J'ai trouvé ton mot.

— Je t'aime, lui répéta-t-il, sa main grimpant sensuellement le long de sa cuisse.

— Tu m'aimeras toujours lorsque je te rappellerai qu'on est samedi, jour de footing ?

La main baladeuse stoppa net son ascension et retomba lourdement sur le matelas.

— Sûrement un peu moins, grogna Isas en le fusillant du regard. Je déteste courir.

— Et moi, je déteste te voir avec un de tes ex.

C'était le jeu de la concession, un échange de bons procédés. Ils l'avaient mis en place dès le début de leur relation. Il leur avait fallu une semaine et une dispute pour arriver à la conclusion que ni l'un ni l'autre ne cédaient facilement.

Ainsi, si Isas acceptait qu'Alexey s'enferme plus d'une journée dans son atelier de menuiserie sans voir personne, en contrepartie, il n'avait pas à lui faire de comptes rendus détaillés sur ses allées et venues. Et si Alexey tolérait qu'il y ait des ex dans les amis d'Isas, alors ce dernier devait courir une heure tous les samedis avec lui.

C'était un système qui marchait, du donnant-donnant.

Alexey secoua la tête et récupéra de quoi se vêtir.

— Je t'aime aussi, lui dit-il enfin en embrassant ses lèvres boudeuses.

Le plaisir que ressentit Isas à ces trois petits mots frappa Alexey de plein fouet. C'était une émotion chaude et déroutante, une sensation de bien-être mêlée à une profonde satisfaction qui fit ronronner son loup. Il adorait cette vague brûlante qui, partant du cœur de son compagnon, s'écrasait dans le sien.

Luttant contre son envie de lui faire l'amour, il se força à sortir de leur chambre et à descendre au rez-de-chaussée. Alors, seulement là, l'attraction surnaturelle qu'il ressentait pour Isas s'apaisa.

Après cinq ans de vie commune, la décoration de leur maison était à leur image : hétéroclite. D'imposants ouvrages de droit s'intercalaient aléatoirement entre des livres d'art et des meubles, récoltés par Isas dans les décharges, côtoyaient les créations d'Alexey. L'ancien se mélangeait au neuf, sans aucun égard pour les couleurs. Leur cuisine ouverte sur une spacieuse salle à manger ne faisait pas exception. Ainsi, un vieux poêle faisait face à un réfrigérateur dernière génération et à la table en bois, sculptée par Alexey et à laquelle Isas avait accordé six chaises aux styles différents.

Alexey sortit deux tasses dépareillées, lança la machine à café puis se mit à cuisiner. Rapidement, la pièce s'emplit d'odeurs d'œufs brouillés, de lard et de pain toasté. Quand deux bras glissèrent autour de sa taille et qu'un corps se colla à lui, il arrêta le feu et se retourna pour fourrer deux assiettes pleines dans les mains d'Isas.

— Tu me donnes froid avec ton short, souffla son homme.

— Tu me donnes chaud avec ta polaire, lui répondit-il en tirant légèrement sur l'épaisse veste.

— Embrasse-moi.

Ça, c'était un des seuls ordres qu'il ne remettait jamais en cause.

Doucement, pour ne pas renverser leurs plats, Alexey franchit la barrière des lèvres d'Isas pour venir caresser sa langue de la sienne.

— Fais-moi l'amour.

— Après le footing.

— C'est traître comme réponse.

— C'est traître comme demande. Tu sais que j'ai toujours envie de toi.

— Je sais.

Après un sourire espiègle, Isas l'abandonna pour poser les assiettes sur la table à côté des tasses.

oOo

En sept ans, Isas s'était habitué à être observé. Alexey le regardait. C'était un fait normal. Alexey le regardait tout le temps, même la nuit, lorsqu'il dormait. Régulièrement, il se réveillait, couvé par la chaleur de son attention. Alors, quand son homme se contenta de le dévisager, sans plus participer à la discussion transformée en monologue, il ne s'en offusqua pas.

— Tu sais que, même si tu entretiens pendant des heures la conversation, on ira quand même courir ? le coupa Alexey.

Parfois, Isas avait envie de le frapper. A vrai dire, « souvent » serait plus exact que « parfois ».

— Tu continues ou on débarrasse et on y va ?

Il lui arrivait même de rêver qu'il le poussait dans l'escalier. Un accident survenait si vite… Il ne souhaitait pas lui faire trop mal, juste de quoi l'empêcher d'aller crapahuter dehors à des heures indues et de l'entrainer dans son délire sportif pendant deux à trois semaines. Voire toute une vie. Isas haïssait le sport presque autant qu'il aimait Alexey.

Isas eut à peine posé un pied sur le perron qu'il regretta l'agréable chaleur de leur cuisine. Avec un bougonnement, il rabattit la capuche de son sweat-shirt sur son crâne et plongea ses mains dans ses poches. Tandis qu'Alexey fermait la porte, il se mit à sautiller sur place pour éviter de perdre toute sensation dans ses orteils.

Trop frigorifié pour sortir ses mains de leurs abris molletonnés, il salua d'un vague signe de tête leur vieille voisine déjà perchée à la fenêtre de son premier étage. De là, elle avait vue sur la grande place, et donc sur tout ce qui se passait dans le village. Rien ne lui échappait. Depuis qu'il avait emménagé chez Alexey, ils étaient devenus un sujet de ragot et il se doutait que cette pie-grièche n'était pas étrangère à ces rumeurs.

— Prêt ? demanda Alexey en lui frottant les bras pour le réchauffer.

— Si je réponds non, on pourra rentrer ?

Isas prit le dur baiser d'Alexey pour un « tu peux toujours rêver » et, avec un soupir, le lui emboita le pas quand il s'éloigna en courant. Avoir envie de suer et d'être essoufflé si tôt le matin était inhumain. Si lui ne se tapait le châtiment du footing qu'une fois par semaine, Alexey s'imposait cette torture tous les jours, voire plusieurs fois par jour quand quelque chose le contrariait. Ce qui, vu son bon caractère, arrivait plus que régulièrement.

Cet excès de sport expliquait en partie le corps musclé de son homme. Ça et les haltères dans le salon. Alexey était pour ainsi dire… massif. Grand et large. Pour avoir testé, Isas était incapable de faire le tour de son cou avec ses deux mains. Il manquait bien dix centimètres pour que ses pouces puissent se toucher.

Courant presque aussi vite qu'il marchait – la seule façon pour lui de ne pas arrêter au bout de cinq minutes –, Isas suivit Alexey à travers le village et les vignes jusqu'à la forêt. Une fichue forêt qui, selon son avis, était en réalité un lieu de torture, avec ses racines cachées, ses branches griffant les vêtements et son sol foutrement irrégulier !

Il était déjà à bout de souffle lorsqu'une pente mit son endurance à rude épreuve. Il affronta avec courage les dix premiers mètres pour abandonner au onzième. Trop… C'était trop ! S'il faisait un pas de plus, son cœur allait se carapater de sa poitrine pour se réfugier sur une île paradisiaque loin, très loin, de ce calvaire.

Les mains sur les genoux, la tête en bas, haletant avec le charme d'un bouledogue français, Isas fit un vague signe à Alexey qui s'était lui aussi arrêté, mais en haut de la côte. Évidemment, il n'y avait pas le moindre signe de fatigue chez lui.

— Ça va ?

S'il lui posait encore une fois cette question, Isas allait lui démonter la tête. Enfin, encore faudrait-il qu'il ait récupéré son souffle et grimpé cette fichue pente. À la place, il se contenta d'un doigt d'honneur. Il se redressa, les mains sur les hanches, et s'accorda quelques secondes supplémentaires avant de commencer l'ascension au pas. Pas moyen qu'il coure à nouveau aujourd'hui.

— Les vieux sont censés être moins en forme que les jeunes, grogna-t-il en arrivant presque à hauteur d'Alexey.

Il accepta la main tendue de son homme qui, d'une traction, le tira jusqu'à lui.

— Tu me trouves vieux ?

Cette question inattendue le désarçonna.

— Je veux dire, tu me trouves trop vieux ? réitéra Alexey, les sourcils froncés.

Il ne l'avait quand même pas pris au sérieux ?

Presque quinze ans les séparaient. Du moins, c'est ce que disait la carte d'identité d'Alexey. Parce que, malgré le tampon officiel, Isas avait du mal à croire qu'il avait quarante-huit ans. Si, à cet âge, lui arrivait à avoir un corps comme le sien, alors il considérerait avoir beaucoup, mais vraiment beaucoup, de chance.

— Chéri, si je dis oui, tu comptes rajeunir pour t'accorder à mon âge ? plaisanta-t-il. Parce que vu que je t'aime et que je n'ai pas l'intention de changer de mec, si ça te pose problème, il va falloir qu'on se montre inventifs. Mais entre nous, je te trouve particulièrement sexy avec ce corps et ce visage. Alors, pas de botox.

C'était vrai. Isas le trouvait beau. Sa barbe toujours mal rasée, ses cheveux courts, les rides aux coins de ses yeux, la minuscule cicatrice à sa lèvre… Tout prenait un caractère séduisant chez son homme. Alexey lui plaisait tel qu'il était. Isas ne changerait rien chez lui à part, peut-être, son obsession du contrôle. Et même ça, sans l'accepter, il avait fini par s'y habituer.

Glissant un regard le long de ce corps qu'il connaissait par cœur, ses yeux s'arrêtèrent sur les pointes érigées de ses tétons. Comme la plupart des tee-shirts d'Alexey, celui qu'il portait s'étirait sur sa large carrure et dessinait parfaitement chacun de ses muscles. Beaucoup trop de muscles pour qu'il y reste indifférent.

Et ça le prit comme ça. Comme très souvent quand il était avec lui. Un désir brutal, subit. Primitif. Il le voulait. Physiquement. Maintenant. Pas dans une minute. Pas plus tard, à l'abri des regards. Mais ici. Tout de suite.

Fébrile, Isas poussa Alexey contre le premier arbre qui se présenta, conscient qu'il réussissait à bouger son colosse de muscle uniquement parce qu'il le laissait faire. Il saisit sa nuque, se mit sur la pointe des pieds et l'embrassa. Enfin, embrasser était le terme décent. La vérité était plus proche d'un gobage avide de bouches, avec entrechoquement de dents et de bave. Beaucoup de bave. Leur étreinte, loin de rassasier le feu qui le dévorait, ne fit que l'embraser un peu plus.

— Je te préviens, Alex. Quand j'aurai ton âge, je serai bien moins en forme et il n'y aura pas moyen que tu me quittes pour un jeunot.

— Et qu'est-ce que tu comptes faire pour m'en empêcher ?

Avant de lui répondre, Isas prit le temps de faire glisser ses lèvres le long de sa gorge et, au cas où il n'aurait pas été assez clair, frotta sa verge gonflée contre son aine.

— Pour commencer, je ferais courir d'horribles rumeurs sur toi.

— Horribles comment ?

— Vraiment atroces, genre bien glauques. J'irai voir notre voisine et lui dirai combien tu prends plaisir à la sodomie. À quel point tu adores me la mettre bien profond.

Maintenant, Isas n'était manifestement plus le seul à bander.

— Après, si ça ne suffit pas, je me rendrai chez Eustache et lui avouerai toutes les fois où tu as honteusement critiqué la qualité de ses produits.

— Ça, c'est un coup bas.

C'était vrai. Se mettre à dos le boucher du village revenait à retirer la viande de leur liste de courses. Si Isas pouvait y survivre, ce n'était certainement pas le cas d'Alexey, qui avait fait de tout ce qui était sanguinolent son aliment de base.

— Si tu crois que je vais avoir le moindre remords à faire ce qu'il faut pour te garder, tu te trompes.

Lui coupant la parole, Alexey empoigna ses cheveux et l'attira dans un baiser possessif qui le laissa haletant et le ventre ravagé de désir.

— Tes menaces ne m'effraient pas. Il n'y a pas grand-chose qui pourrait me séparer de toi.

Les mains d'Alexey étaient à présent autour de son cou et ses doigts appuyaient avec douceur sur sa carotide. Quand son homme se pencha à nouveau vers ses lèvres, Isas lui céda le contrôle du baiser. Un baiser exigeant et érotique.

Tandis que leurs langues dansaient un ballet charnel, il posa sa paume contre l'entrejambe gonflé d'Alexey. Son short de sport et son boxer devinrent des barrières insupportables entre lui et ce qu'il voulait. Franchissant ces obstacles, Isas referma sa main autour de la verge convoitée.

— Tu es dur.

— Toi aussi, répliqua Alexey en venant à son tour le masturber à travers son épais jogging.

— La jeunesse, que veux-tu…

— Ferme-la !

Et pour être sûr qu'il obéisse, Alexey l'empêcha de répliquer en plaquant ses lèvres aux siennes.

Dirigé par sa passion, ne prenant même pas la peine de s'assurer qu'ils étaient seuls, Isas retira ses doigts du sous-vêtement de son homme, s'accroupit et appuya sa joue contre l'imposante verge cachée sous les couches de tissus. Lorsqu'il en dessina le contour avec sa bouche, Alexey lâcha un souffle rauque et agrippa ses cheveux trempés de sueur.

— Tu vas faire semblant de me sucer longtemps ? lui demanda-t-il tout en pressant sa tête contre son bas ventre.

— Baisse-moi ça, et je verrai ce que je peux faire.

Alexey ne se fit pas prier. Une demi-seconde plus tard, short et boxer sous ses fesses, il lui présentait son sexe gorgé de passion. Frottant son nez contre la douce et fine peau, Isas l'excita un peu plus de son souffle.

Il adorait attiser le désir d'Alexey, adorait quand ses traits impassibles se fissuraient sous la pression d'un besoin urgent. Il aimait jouer avec lenteur, titiller sa patience, voir jusqu'où elle s'étendait. C'était un pouvoir dont il ne se lasserait jamais, un ascendant qui le faisait bander. Alexey pouvait faire acte de sang-froid en toute circonstance, sauf dans leurs ébats. La première fois qu'ils avaient fait l'amour, leurs orgasmes avaient été aussi rapides et fulgurants que leur étreinte. Et si Isas appréciait le sexe brutal et la douleur de la sodomie, il chérissait tout autant, voire plus, les préliminaires et la montée lente du plaisir.

Partant de la base, de la pointe de sa langue, il lécha cette chair tendue pour finir par suçoter le gland luisant des premières perles de jouissance.

— Isas…

Alexey avait prononcé son nom telle une supplique.

Ses mains posées sur les puissantes cuisses de son homme, Isas percevait toute la tension de son corps alors qu'il se retenait de pousser son sexe au fond de sa gorge.

— Tu veux que je t'avale ?

Comme à chaque fois qu'il était sous le coup d'une émotion forte, les yeux d'Alexey changèrent de couleur. Ses iris verts se tintèrent de mordoré. .

— Putain, oui !

Avec une lenteur qu'il savait insupportable, Isas descendit centimètre par centimètre le long de son érection. Un gémissement proche d'un grognement répondit à sa caresse. Un son qui l'exalta et attisa son propre plaisir.

Maintenant, il lui en fallait plus. Il en voulait plus.

oOo

Son sexe s'échappa de la bouche d'Isas qui, d'un coup de langue, rompit le fil de salive joignant ses lèvres à son gland rouge et luisant.

Alexey aurait pu jouir juste de ça, de son compagnon à genoux, dans la forêt. De son pouce, il essuya les fluides salissant le menton d'Isas puis poussa son doigt à l'intérieur de sa bouche pour le forcer à l'ouvrir en grand.

— Avale.

Un ordre qui n'en était pas tout à fait un. Tous les deux savaient qui avait le pouvoir et ce n'était clairement pas lui. Alexey introduisit son gland, puis, d'une prise ferme sur ses cheveux, bloqua la tête d'Isas pour s'enfoncer plus profondément.

Un soupir lui échappa. Il adorait les gorges profondes. Avant qu'ils y trouvent un plaisir équitable, ça leur avait demandé du temps et de l'exercice, beaucoup d'exercices alliés à de la patience et une bonne dose de confiance.

Attentif à la pression des mains d'Isas sur ses cuisses, qui lui indiquait son niveau d'inconfort, il poussa jusqu'au premier haut-le-cœur et se retira de quelques centimètres avant de faire une pause et d'avancer à nouveau. Dans un premier temps, Alexey bougea avec lenteur puis de plus en plus vite, jusqu'à ce que les doigts d'Isas serrant ses cuisses lui signalent qu'il avait besoin de respirer.

— Tes mains dans ton dos, exigea-t-il en se retirant juste assez pour lui permettre de petites inspirations.

— Alors pas de gorge profonde, grogna maladroitement Isas, la bouche obstruée.

— Non, pas de gorge profonde, promit Alexey en se penchant pour l'embrasser avant de replacer son sexe entre ses lèvres.

Doucement, il allait et venait, ne s'enfonçant que de quelques centimètres. Il aimait le regard d'Isas, bouillant d'une soumission volontaire, alors que sa verge disparaissait entre ses lèvres.

C'était trop. Trop de sensations.

Tous ses sens étaient en éveil. Chaque son, chaque caresse, menaçait de le faire jouir. Alors que la bouche avide d'Isas avait délaissé son sexe pour s'attaquer à ses testicules, Alexey le releva brutalement et inversa leurs positions, le coinçant entre son corps et l'arbre.

— Tes mains au-dessus de ta tête.

— Et si je ne veux pas t'obéir ? le défia Isas.

Cette domination n'était qu'une mise en scène qui leur plaisait à tous les deux. D'une parole ou d'un geste, cet assujettissement volontaire pouvait être brisé.

— Tu as trop envie de la suite pour ça.

Avec une lenteur insupportable et un regard chargé de provocations, son compagnon bloqua ses mains derrière sa tête.

Alexey fit courir ses doigts sur son torse et pinça un de ses tétons protégés par son sweat-shirt. Isas avait de la chance qu'il fasse froid, sinon, ça ferait longtemps qu'il lui aurait arraché. Il tira sur le jogging et le boxer d'Isas, sortit son érection et maintint les tissus sous ses testicules pour les empêcher de remonter.

Ainsi épinglé contre l'arbre, à sa merci, son compagnon était magnifique. Même plus que ça. Le soleil, qui commençait à prendre de la hauteur, perçait le feuillage et faisait danser de délicates ombres sur sa peau colorée.

— Joue avec moi, ronronna Isas en remuant le bassin pour ramener l'attention d'Alexey sur sa verge tendue.

— Non.

Ici, à cet instant, c'était lui qui décidait. Uniquement lui.

D'un doigt, Alexey dessina le contour de cette bouche si sensuelle, puis en glissa deux à l'intérieur. La langue d'Isas s'enroula autour de chaque phalange pour y déposer une bonne couche de salive, conscient de la finalité de ce jeu. Lorsqu'Alexey passa sa main entre ses cuisses pour venir masser son entrée, les soupirs d'Isas se multiplièrent.

— Ne me fait pas attendre, l'implora-t-il.

— Dis-moi ce que tu veux.

— Tes doigts. En moi.

— Supplie.

— Pitié, fais-le. Prends-moi.

D'un doigt mouillé puis d'un deuxième, Alexey l'ouvrit, le préparant pour quelque chose de bien plus gros.

— Hmm…

— Détends-toi.

— Je suis détendu, allégua Isas en accompagnant le va-et-vient de cette légère pénétration avec son bassin.

Il sut qu'il avait touché sa prostate quand Isas tourna la tête sur le côté, la bouche ouverte et les yeux fermés. Il le laissa inspirer et expirer plusieurs fois avant de reprendre son massage.

— Prêt pour un troisième doigt ?

— Prêt pour ta queue, chéri.

— Tu veux que je te lèche ? J'ai oublié d'emporter le lubrifiant et les préservatifs en partant, ironisa Alexey.

Le minuscule bout de peau dépassant du col de sa polaire était bien trop tentant et, d'une succion, il y imprima un stigmate de cette étreinte.

— Tu aurais dû prévoir, c'est toi qui m'as allumé.

— Je n'en ai pas souvenir.

— Tu as mis un tee-shirt moulant et un short.

— Il ne t'en faut pas beaucoup.

— Tu as vu le cul qui se trouve dans ce short ? C'est très difficile d'y résister.

— Il te plait ?

— Le short ou le cul ?

— Comme tu veux.

— Le short pas trop. Par contre le cul, c'est une tuerie.

— Pas autant que le tien, grogna Alexey en écartant ses doigts pour étirer l'anneau encore serré.

— Ça, c'est une évidence ! acquiesça Isas, haletant. D'ailleurs, c'est une des raisons pour lesquelles je suis avec toi : mon cul parfait ne pouvait aller qu'avec un autre cul parfait.

— Sérieusement, tu veux que je te prépare un peu plus ?

— Tu as peur d'être trop imposant ?

— J'ai toujours peur de te faire mal. Surtout sans lubrifiant et avec si peu de préliminaires pour toi.

— J'ai le droit de bouger les bras ?

En effet, Isas les avait toujours au-dessus de sa tête. Alexey eut à peine le temps de hocher la tête que son compagnon l'attirait à lui. Les deux mains sur son visage, il l'entraina dans un baiser à couper le souffle. Littéralement !

— Ce que je peux t'aimer, lui dit-il entre deux respirations.

Ses mots annihilèrent toutes ses appréhensions. Isas ne pouvait pas lui dire ça sans s'attendre à se faire prendre férocement.

Tout en baissant le jogging sous les fesses fermes de son compagnon, Alexey inversa une nouvelle fois leur position. En appui contre l'arbre et le dos d'Isas contre sa poitrine, il le força à se pencher en avant puis guida son sexe contre son entrée. Quand il le pénétra, son amant tendit les bras en arrière et agrippa ses fesses, n'ayant pas d'autre prise avec le vide face à lui.

Alexey détestait la douleur présente dans ses ongles qui griffaient férocement sa peau. Il la détestait, mais l'acceptait, car son homme y trouvait du plaisir. Le laissant déverser sa flopée de jurons habituelle, Alexey remua doucement.

— Ce que tu es serré.

— Remets les choses dans le contexte, chéri. « Ce que je suis gros » serait plus adapté.

— Si tu arrives encore à parler, c'est que tout va bien.

D'un coup de rein plus prononcé, Alexey lui tira un gémissement et récolta de nouvelles griffures. Les deux paumes sur son pubis, Alexey le ramena tout contre lui pour l'envahir plus profondément.

— Penche-toi et mets tes mains sur tes genoux.

Plié en deux, les fesses offertes et les épaules tremblantes, Isas ne chercha même pas à protester. Alexey remonta son sweat-shirt pratiquement jusqu'à ses épaules, révélant un dos constellé de grains de beauté.

Le maintenant contre lui, les mains sur son bassin, Alexey commença par s'imposer graduellement entre ses chairs serrées avant d'accélérer le mouvement. De passionnée, ses pénétrations se firent précipitées puis véloces.

Quand Isas tenta de se masturber, Alexey le redressa, le ceintura et bloqua ses mains contre sa poitrine en lui murmurant « pas encore ». Il lui fit l'amour avec de rapides et brusques va-et-vient.

À chaque nouvelle stimulation, les gémissements d'Isas s'intensifiaient, tandis que ses parois brûlantes comprimaient le sexe d'Alexey. À ce rythme, il n'allait pas tenir longtemps, surtout si son compagnon n'arrêtait pas de lui sortir ses « je t'aime », agrémentés de beaucoup de vulgarités.

— Plus vite… Plus…

Alexey le fit taire d'une profonde poussée.

— Je vais… Est-ce que tu…

— Ne te gêne pas pour moi, Isas.

Son amour. Sa destinée. Son âme sœur.

D'une main sur son sexe, Alexey accompagna la montée de son orgasme. Il le branla vigoureusement jusqu'à ce qu'il jouisse et que son cri se répercute entre les arbres. Quelques secondes plus tard, à son tour, Alexey lâcha prise et se déversa en Isas, dont l'intimité se contractait douloureusement autour de sa hampe.

Putain de merde !

C'était si bon… Indescriptible. Un feu dans son ventre et une explosion dans son cœur.

En lui, son loup hurla.

À moi. À moi. À moi.

Isas leur appartenait. Âme et corps.

Ils restèrent ainsi un long moment, son compagnon bloqué contre sa poitrine. Après avoir déposé une multitude de baisers sur son dos, Alexey remit en place son sweat-shirt pour qu'il n'attrape pas froid et laissa tomber sa tête entre ses omoplates. À cet instant, il se savait incapable de le lâcher. Il voulait le garder contre lui, dans cet état d'euphorie et de bien être pour le reste de leur vie.

Il ne bougea pas jusqu'à ce qu'il perçoive les larmes d'Isas.

Ça arrivait de temps à autre, lorsque le plaisir était trop fort. La première fois qu'Isas avait pleuré après un orgasme, il avait complètement paniqué. Il ne pouvait pas être la cause de sa douleur, rien que l'envisager lui était insupportable. Et quand un affreux doute s'était insinué dans son esprit, son désarroi avait fait place à la colère. Mais avant qu'il n'ait pu mettre des mots sur ses inquiétudes, Isas s'était dépêché de le détromper.

Non, il n'avait pas de mauvaises expériences oui, la tristesse passait très vite. C'était juste… un « lâcher-prise », comme l'appelait Isas. Et si, aujourd'hui, Alexey ne réagissait plus aussi violemment, ses larmes le remuaient toujours autant.

Après l'avoir rhabillé, il porta Isas jusqu'à un arbre mort, couché sur le côté, et l'assit sur l'épais tronc. Se plaçant entre ses jambes, il souleva ses cuisses pour les mettre sur les siennes et être au plus près de lui.

Avec une infinie douceur, il essuya ses larmes et lui caressa le visage. Front contre front, il attendit que la crise passe.

— J'espère que personne ne nous a vus, murmura Isas en expirant profondément.

— C'est maintenant que tu t'en inquiètes ?

Son compagnon lui sourit et l'embrassa délicatement, avant d'effacer les dernières traces de ses pleurs avec une de ses manches.

— C'est toi la partie raisonnable de notre couple.

— Quand il s'agit de te baiser, disons que j'ai dû mal à être pondéré, souffla Alexey en venant reprendre ses lèvres.

— Si on se fait arrêter par la police, je te mettrai tout sur le dos.

— C'est toi l'avocat.

— Eh bien, justement… Mais, ne t'inquiète pas, j'irai te voir au parloir et m'arrangerai pour que l'on ait un peu d'intimité, se moqua Isas avec un clin d'œil.

Alexey l'enlaça et posa sa tête contre sa poitrine. Les battements de son cœur, encore rapide après leur ébat, était un son doux et rassurant. Une cadence familière qui berçait son loup.

— Alex… Tu crois que c'est normal si j'ai de nouveau envie de toi.

— Va falloir attendre un peu. Comme tu le dis, je ne suis plus très jeune.

Un rire, accompagné d'une main dans ses cheveux, lui répondit.

Alexey n'avait jamais vraiment su à quel point Isas ressentait leur union. Si lui était conscient qu'il n'y aurait jamais un autre homme dans sa vie, il se demandait parfois si son compagnon partageait cette même certitude. Si un jour viendrait où Isas le quitterait. Cette possibilité le terrifiait, parce que s'il était sûr d'une chose, c'était de celle-là : il ne survivrait pas à leur rupture.

Et rien que l'idée affola son loup.

oOo

Entre ses bras, Alexey s'était figé. C'était un de ces moments qui échappait à Isas. Un moment où son homme n'était plus tout à fait lui-même.

Alexey était différent de tous les amants qui avait traversé sa vie, différent de tout ce qu'il avait connu. Et pas juste dans le sexe. Alexey était… pas comme tout le monde, toujours sur la retenue. Même avec lui. Même après sept ans d'amour.

Parfois, comme là, Alexey restait immobile des minutes entières et, quand il l'appelait, il avait l'impression que c'était une autre personne qui le regardait à travers ses yeux. Alors, passant sa main dans les cheveux courts d'Alexey, il attendit qu'il lui revienne, que son regard retrouve sa tendresse habituelle. Ça pouvait prendre quelques secondes comme plusieurs minutes.

Au fil des années, Isas avait appris à taire ses questions et à vivre avec un amant dont il ne savait pas grand-chose. De son passé, il ne connaissait que ses origines russes et un de ses cousins, Vadim, qui avait plus l'air d'un mafieux que du bon père de famille. Le reste était flou, rempli de trous et d'incohérences sur lesquelles il fermait régulièrement les yeux. Il gardait ses doutes pour lui, parce qu'il l'aimait et qu'il ne laisserait rien les séparer, pas même ses propres interrogations.

Quand la sonnerie de son téléphone brisa la tranquillité de l'instant, un grognement échappa à son homme. Ça aussi, c'était quelque chose auquel il s'était accoutumé : ses grognements. Ce n'étaient pas juste des bruits de gorge. Isas avait toujours l'impression que ça venait de plus profond, de son ventre. Une sonorité animale. Un truc qui, bizarrement, l'excitait.

— Chéri, je vais devoir répondre, dit-il quand, après plusieurs sonneries, Alexey ne l'avait toujours pas lâché.

D'une main, son homme palpa les poches de son jogging et en sortit son téléphone.

— Bureau du shérif…, lui lut-il après un rapide coup d'œil à l'écran.

Avec un profond soupir, Alexey le libéra et lui rendit son portable. Lorsqu'il se leva et s'éloigna pour lui laisser l'intimité nécessaire à sa profession, un frisson traversa Isas. Une sensation d'inconfort qu'il ignora en décrochant et saluant son correspondant.

— C'est Nadia ! déclara la secrétaire du bureau du shérif. J'ai un de tes clients chez moi. Faudrait que tu viennes nous en débarrasser.

— Lequel ?

— Morgan Ross, soupira-t-elle comme si prononcer simplement ce prénom l'épuisait.

Isas retint à son tour un grognement frustré.

Au même instant, Alexey se tourna dans sa direction, lui donnant l'impression que, bien qu'à bonne distance, il avait entendu leur conversation.

— Il t'a dit que j'étais son avocat ?

— Pas à moi, mais oui. C'est ce qu'il a balancé.

— Il a fait un truc qui réclame un avocat ?

Isas l'entendit fouiller ses papiers et rouspéter contre son patron, incapable d'organiser quoi que ce soit. Ça, il voulait bien le croire. Mikhaïl faisait respecter l'ordre partout, sauf sur son bureau qui était un ramassis de choses plus ou moins hygiéniques.

— Pas vraiment…, finit-elle par dire. Bagarre un peu poussée et consommation d'alcool avant l'âge légal. Mais on ne peut pas le relâcher comme ça. C'était soit sa mère, soit toi. Il a insisté, et par insister j'entends insulter tout ce qui était à portée de voix, même nos pauvres meubles, pour que ce soit toi.

Isas soupira. Il était beaucoup trop tôt pour ce genre de conneries. Parfois, il détestait son métier et plus encore les petits crétins assez cons pour se faire piquer avec de l'alcool, un samedi avant onze heures.

— Je ne suis pas chez moi… Le temps que je rentre, que je me change et passe te prendre un smoothie chez Ricardo, je serai là dans… un peu plus d'une heure.

— T'es un ange, Isas. Prends aussi un demi-écrémé pour Mikhaïl, s'il te plait. Morgan a épuisé une bonne partie de son capital patience et si je ne veux me taper sa mauvaise humeur jusqu'à ce soir, il me faut rapidement une douceur pour rebooster son affabilité.

— Ça marche, je vous ramène ça, lui garantit Isas en riant.

Il raccrocha et rejoignit Alexey qui, immobile, le fixait toujours.

— Je vais devoir aller bosser.

— Tu n'as trouvé que ça comme excuse pour échapper à la fin du footing ?

Isas aurait presque pu croire qu'il était sérieux si un coin de sa bouche, relevé de quelques millimètres, ne contredisait pas sa mine sévère.

— Tu ne trouves pas que j'ai fait assez de sport pour la journée ?

— Ne crois pas t'en sortir aussi facilement. Une heure de course, c'est une heure de course. Mais j'ai quelques idées pour rattraper ce manque ce soir.

— Une fellation et un anulingus ? demanda-t-il avec espoir.

— Ça peut se négocier…

Le ton lascif d'Alexey lui échauffa les sens et, avant qu'ils ne dérapent une nouvelle fois, il changea de sujet.

— Je peux rentrer seul si tu veux continuer à te dépenser.

Son homme regarda autour de lui, avant de secouer la tête.

— Non, je te raccompagne. C'est la saison des marcassins.

Isas ne chercha pas à le contredire. Alexey était atteint du syndrome du super-héros et, après sept ans de relation, il avait appris à faire avec.

— Alex ?

— Oui ?

— Je t'aime.

Elle était de nouveau entre eux, cette tension sexuelle perpétuelle.

Vibrante et terriblement attractive.

Isas voulait le toucher. L'embrasser. Unir leur corps. Fusionner leur âme dans l'orgasme.

Il le voulait tellement…

Fort. Si fort.

De peur de ne pas pouvoir respecter sa promesse faite à Nadia, Isas se retint de se coller à lui et, lorsqu'ils furent chez eux, refusa de partager sa douche. Trop de risques.

Alexey était bien trop tentant.

1 Junior est un film réalisé par Ivan Reitman, sorti en 1994, dans lequel Arnold Schwarzenegger interprète un scientifique enceint.