Note : Voici un OS sans prétention. C'est le premier que j'écris depuis un moment, donc excusez-moi pour le style qui peut-être maladroit. Je me suis relue, mais il peut rester des coquilles, des fautes, et des incohérences. Désolée. J'espère que vous profiterez quand même de l'OS.
Leur vie au Nord
Il y a des années de cela, quand les forêts s'étendaient encore sur les terres et que les villages ne représentaient des oasis de civilisation au milieu du monde sauvage, vivait un garçon nommé Jean.
Jean détestait son prénom. Tout le monde s'appelait Jean. Dans ce petit village composé de quelques familles, la coutume voulait que les hommes s'appellent Jean, Henri ou Marc. Les filles, quant à elles, alternaient entre Sarah, Jeanne et Françoise. Dans la famille de notre héros, tout le monde se mélangeait donc, et bien des fois, la mauvaise personne répondait à l'appel. Car oui, dans une famille de douze enfants, chaque prénom se retrouvait deux fois. Alors quand on demandait Sarah, comment savoir s'il s'agissait de l'aînée ou de la cadette ? Et pour Henri, comment faire la différence entre l'homme de dix-huit ans, et le bambin de cinq ans ? Cette répétition de prénom créait une véritable cacophonie dans la maisonnée, au point que notre Jean préférait se balader dans la forêt plutôt que de rester chez lui.
Ses frères aînés le regardaient d'un mauvaise œil. Comment ce gosse de dix-sept ans se permettait-il de fuir ? Il devait assumer son rôle, comme tout à chacun, et soutenir leur mère du mieux qu'il pouvait. Mais quoi qu'il fasse, Jean ne répondait jamais à leurs attentes. Rien que son apparence le détachait des siens. Prenons par exemple ses cheveux. Sa lignée se caractérisait par ses cheveux bruns, presque noirs, et surtout, lisses. Or Jean portait la couronne rousse et frisée de sa grand-mère au douzième degré. Et ses yeux. Dans l'un pétillait la couleur noire de ses ancêtres, et dans l'autre, autre héritage de son aïeule, se reflétait le bleu du ciel. Ses particularités physiques ne s'arrêtaient pas là. Si seulement. Jean se détachait des autres par sa taille. Notre rouquin dépassait le mètre quatre-vingt-dix, alors que les hommes de sa famille n'atteignaient que rarement le mètre quatre-vingt. Fin comme une anguille, il lui manquait les muscles de son père et de ses frères. Non, quoique Jean puisse faire, il ne ressemblait pas à sa famille, et peut-être à cause de son apparence élancée et de sa chevelure couleur feuilles d'automne, Jean préférait la compagnie calme des arbres à celle mouvementée de ses frères et sœurs.
Dans les bois, Jean renouait avec lui-même. Il savait reconnaître les empruntes de dizaines d'animaux, se glissait entre les branches sans un craquement, il grimpait aux arbres comme un animal sauvage, et si quelqu'un s'aventurait dans les bois, Jean ne serait ni vu, ni entendu. A sa manière, Jean réussissait à ne faire qu'un avec la nature, à devenir la nature elle-même. Depuis des années qu'il parcourait ces terres, il pouvait désormais reconnaître chaque arbre, chaque vallée et savait où se cachait tel ou tel animal. Faune ou flore, Jean accordait le même soin et la même protection à chaque être vivant de cette forêt, et il laissait toujours trainer ses doigts, donnant de légères caresses à tout ce qui se présentait à lui.
Oui, par bien des aspects, Jean se différenciait des siens. Non seulement de sa famille, mais aussi des gens du village. Tout le monde craignait la forêt et les bruits qui s'en dégageaient. Comme tout hameau isolé, les rumeurs et les contes allaient bon train, et des superstitions se créèrent au fil des générations : dessiner une croix blanche sur sa porte les soirs de pleine lune, peindre le pourtour des fenêtres du sang d'un agneau les soirs sans lune. Beaucoup de croyances incluaient la lune, comme si cet astre blanc renfermait tout le pouvoir du monde. Mais Jean se moquait de ces coutumes étranges. Certes, il persistait à croire aux loups-garous, aux vampires et aux monstres des forêts, mais contrairement aux autres, il ne les craignait pas. Au contraire, ces contes et ces créatures de la nuit le fascinaient. Secrètement, il sortait les soirs de pleine lune, celles où les loups-garous se réunissaient pour décider quel villageois tuer pendant la nuit. Jean espérait croiser l'une de leurs réunions. Non pas pour les dénoncer, mais pour en savoir plus sur eux. Seulement, depuis dix ans qu'il parcourait la forêt chaque soir de pleine lune, il n'avait jamais vu le moindre loup-garou, et les hurlements de la nuit appartenaient à de simples loups.
A des kilomètres du village de Jean existait un autre groupe de maisons. Plus solitaires, moins amicaux, les gens du village de Tachimono se caractérisaient par leur petite taille et leurs membres courts. Ces hommes vivaient de la chasse et leurs maisons en pierres robustes ne servaient que de façade. Les hommes du village vivaient en réalité dans la forêt, chassant le jour, et dormant au creux des branches la nuit.
Les femmes, quant à elles, s'occupaient de la nourriture et des enfants. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les femmes dirigeaient la vie politique et décidaient des changements dans le village. Qui restait, qui partait. Les hommes rapportaient de la nourriture mais il s'agissait bien là de leur seul pouvoir. Chaque Anormal se voyait chassé du village.
Pour Hippolyte, rester dans le village s'avérait être un combat de tous les jours. Il essayait désespérément de s'adapter, mais malgré son corps robuste et ses dons pour la chasse évident, il ne pouvait tuer les animaux. Il attrapait le gibier plus rapidement que n'importe quel chasseur, mais sitôt devant la bête, il n'arrivait pas à donner le coup fatal et inévitablement, il finissait par relâcher l'animal si aucun autre chasseur ne se trouvait dans les parages.
Pour ce clan de chasseur individualiste, faire preuve de pitié était une faiblesse à éradiquer. Si Hyppolyte développait cette tare, alors d'autres enfants pouvaient également se trouver atteint par cette maladie. Alors, rapidement, la nouvelle se répandit. Hyppolyte, le fils de la Mère du village, devait disparaître.
Pourtant, rien ne le différenciait de ses compatriotes. Son corps trapus et ses muscles ronds le fondait dans la masse. Brun, la peau hâlé par des heures passées dehors, une pilosité développée, Hyppolyte tenait tout de l'ours totem de leur village, tous comme les autres hommes. Comme eux, il se réjouissait d'abord de son bonheur avant celui des autres. Et tous comme eux, il haïssait cette faiblesse de l'âme qui lui interdisait de blesser un animal. Blesser un homme, il pouvait le faire et pouvait le faire, mais un animal innocent, il s'en sentait incapable.
Alors, quand sa mère le fit appeler dans la maison principale, placée au centre du village, Hyppolyte savait ce qui l'attendait.
« Mère, fit-il en plaçant un genou au sol.
« Hyppolyte, depuis plusieurs semaines déjà, ton cas est au centre de toutes nos discussions. Les anciennes veulent que tu quittes le village.
— Je comprends.
— Désormais, Hyppolyte, tu n'es plus un fils de ce village. Tu partiras au lever du jour. Dans les braises de la nuit, tu jetteras ton totem et seule ton arme de poing te seras autorisée, récita la mère. Comprends-tu ?
— Je comprends. »
Pas de dernière recommandation, pas de mot d'adieu. La mère d'Hyppolyte restait fidèle à elle-même et à son devoir. Sa génitrice était la Mère du village, et la Mère devait être impartiale, logique et ne montrer aucune émotion, même devant son fils unique.
Sur un dernier signe de tête, le garçon sortit de la tente. Dehors, le village s'organisait de la même manière que d'habitude. Par tranche d'âge, les enfants apprenaient les rudiments de la chasse pour les garçons, et la manière de régir le village pour les filles.
Le temps d'un instant, Hyppolyte regarda avec nostalgie les chasseurs de demain. Après tout, cela ne faisait que cinq ans depuis la fin de son apprentissage. Cinq ans depuis sa première chasse. Comme il se sentait fier à cette époque-là, lorsque du haut de ses quinze ans, il participait enfin aux besoins du village. Le regard jaloux de ses compagnons lorsqu'il tenait entre ses poings sa première proie résonnait encore dans son cœur et le remplissait de joie. Ce jour-là, les hommes crièrent son nom même s'il n'avait pas réussi à abattre l'animal. Mais pas ce soir. Ce soir, Hyppolyte errait dans le village, regagnant son couchage dans les arbres. Evitant le collet posé au pied du tronc, il grimpa avec habitude, crochetant ses doigts et s'élevant vers la cime.
Lorsqu'il partirait le lendemain, ce serait dans le plus grand des silences. Le village dormirait encore, et seuls les hommes de garde lui jetteront un regard condescendant. Lorsque son ours brûlerait dans les braises, Hyppolyte serait déjà loin et son couteau de silex serait son compagnon le plus cher.
« Jean, il faut qu'on parle.
— Tu veux quoi, Jean ? répondit le plus jeune des deux Jean.
— On peut plus te laisser vagabonder comme ça. On en a tous marre de toi.
— Pardon ?
— Les autres n'ont rien dit, mais ce n'est plus possible. Tu pars tous les matins dans la forêt faire dieu sait quoi. Si encore tu ramenais de la nourriture, on comprendrait. Mais là, tu ne représentes qu'une bouche inutile à nourrir. Même Petite Sarah qui a cinq ans se rend utile en ramassant du bois mort pour le feu !
— Je-
— Jean, intervint Sarah, l'aînée de la fratrie. Laisse-le tranquille. On avait dit qu'on trouverait une solution.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? »demanda le plus jeune des Jean.
Ses aînés échangèrent un regard.
« Maman est malade. Même si petit Marc a déjà deux ans, elle n'arrive pas à se remettre de sa grossesse. La vieille du village est venue aujourd'hui, pendant que tu étais dans la forêt. Elle n'en a plus pour longtemps. Quelques semaines, mois si on a de la chance. »
Petit Jean fronça les sourcils. Il ne comprenait pas où ses aînés voulaient en venir.
« On ne peut plus se permettre de nourrir une bouche inutile, fit Jean. Sarah restera à la maison pour s'occuper des plus jeunes, mais moi, je pars aider le bucheron.
— Et les autres ? s'enquerra Petit Jean.
— La jumelle va apprendre au près de la vieille guérisseuse.
— Jeanne ? Pourquoi ? Elle ne supporte pas la vue du sang !
— Parce qu'elle sait où est sa place ! Et il est temps que trouves la tienne ! cria Jean.
— Henri et Françoise vont aider avec les cueilleurs, reprit Sarah. Pour les autres, on va attendre un peu. Petite Jeanne n'a même pas treize ans, on ne peut pas lui demander de travailler. Elle se rend utile comme elle peut. Comme les autres. »
Petit Jean regardait sa sœur. Son regard doux le calmait, mais lorsqu'il croisa celui de son frère, il comprit qu'il devait faire quelque chose.
« Je… Je vais aider aussi.
— Ha ?! Et comment ? Le dédain présent dans la voix de son aîné brisa quelque chose en lui.
— Je…
— Pars.
— Jean ! le réprimanda sa sœur.
— C'est tout ce qu'il peut faire, non ? Ici, il n'est d'aucun aide, et visiblement, il n'en a rien à faire de nous. Tout ce qui l'intéresse, c'est sa forêt et les animaux qui y vivent, cracha-t-il en regardant son frère.
— Je… » essaya Jean, mais le regard de sa sœur le dissuada de continuer.
Visiblement, son frère venait de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Jean chercha un soutien auprès de ses frères et sœurs présents dans la pièce, restés muets pendant l'altercation, mais il ne croisa pas un regard. Tout le monde le fuyait.
Abattu, Jean quitta rapidement la maison pour se réfugier dans la forêt. Leur décision semblait définitive, et il ne pouvait rien faire pour la changer. Ses chances de faire partie de sa famille avaient disparues à mesure qu'il s'enfonçait dans les bois.
Le soir tombé, il remonterait rapidement au village et irait récupérer ses affaires. Pour l'heure, Jean décida de se préparer un abri pour la nuit. Ses connaissances de la nature l'aidaient, et rapidement, il trouva un lieu approprié. A l'aide de lierre, de branches et de mousse, Jean se bâtit au centre de la forêt une cabane rudimentaire. Celle-ci se trouvait suffisamment loin du village pour qu'il ne dérange pas sa famille, mais assez près pour pouvoir profiter de la protection qu'il offrait. Les grands animaux tels que les ours ne s'approchaient pas du village, sous peine de mort. Puisque la forêt offrait son lot de danger, l'homme se réfugiait depuis longtemps dans ces maisons en pierre qu'il protégeait au péril de sa vie, et les animaux le savaient.
Demain, Jean se mettrait en route. Il ne pouvait rester trop proche du village.
La nuit tombait enfin lorsque Jean rejoignit à pas feutrés la maison de ses frères et sœurs.
L'esprit d'Hyppolyte tournait à plein régime, mais aucune solution ne se présentait à lui. Où allait-il vivre maintenant qu'il n'appartenait plus au village ? La loi interdisait le retour d'un membre chassé, et ne l'autorisait pas à se trouver à moins d'une journée de marche du village. Maintenant assez loin, notre chasseur devait s'abriter pour la nuit. Le soleil commençait déjà à baisser, et d'ici quelques heures, les nocturnes commenceraient leur chasse. Il devait s'abriter rapidement avant de ne devenir la proie.
Après plusieurs heures, il finit par trouver un arbre qui lui permettrait d'échapper aux prédateurs et malgré la précarité de l'endroit, Hyppolyte s'empressa d'y grimper. Lorsqu'il se jugea assez haut, il sortit de son sac un quignon de pain. Les règles de son village l'autorisaient à prendre un peu de nourriture, juste le nécessaire pour survivre quelques jours en se rationnant. Malgré sa faim, le jeune homme sépara sa ration pour la faire durer. Avec de la chance, il parviendrait à attraper du petit gibier, mais encore fallait-il qu'il puisse l'abattre. Sinon, il se contenterait de baies.
Un craquement le réveilla. Se redressant lentement, Hyppolyte jeta un coup d'œil vers le bas. Puisqu'il ne savait pas quoi chercher, ses yeux mirent du temps à trouver l'origine du bruit.
Jean se fustigeait mentalement. Quel abruti ! Il connaissait cette partie de la forêt comme sa poche, il connaissait chaque brindille, chaque feuille et chaque arbre. Alors forcement, le passage d'un étranger dans sa forêt l'intriguait. Mais il se savait maintenant repéré. Au mieux, seuls quelques herbivores aux aguets l'avait entendu, mais s'il s'agissait d'un animal plus dangereux, il ne donnait pas cher sa peau.
Pour l'heure, Jean se tenait entièrement immobile. La branche sur laquelle il venait de marcher restait brisée sous son pied, et il n'osait pas bouger. Il se savait observé. Par qui ? Par quoi ? Les sens aiguisés, il cherchait la source de son trouble. L'intrus ne se trouvait pas loin. Les traces de son passage s'arrêtaient ici. Jean maudit sa curiosité, et se promit de ne pas refaire la même erreur à l'avenir.
Le rouquin prit soin de ne pas déplacer ses appuis lorsqu'il leva lentement la tête. Il regarda autour de lui lentement, sans faire de geste brusque, et finalement, son regard s'attarda sur un arbre. Celui où logeait Hyppolyte.
Les deux garçons restèrent un long moment à s'observer. Jean craignait de se faire tuer et Hyppolyte espérait que le bruit fait par l'autre garçon n'attirerait pas d'autres animaux. De longues minutes où rien n'arriva passèrent, et Jean décida finalement de bouger lentement. Il écarta les mains, montrant à l'autre garçon qu'il ne portait pas d'arme sur lui, et doucement, il déplace son pied, le reposant en silence sur le sol. Dans une série de geste, il fit comprendre au garçon de l'arbre qu'il souhaitait grimper. Il attendit son consentement, qui vint avec un hochement de tête, avant de grimper rapidement à l'arbre. Il s'installa quelques branches au dessus d'Hyppolyte. Bien qu'il soit grand, Jean se savait léger et la branche supporta son poids.
Tous deux savaient que l'heure ne prêtait pas à la discussion et sans un mot, ils mirent en place un tour de garde qui dura jusqu'au matin. Lorsque le soleil se leva le lendemain matin, les deux garçons descendirent avec précaution de l'arbre. Le chasseur se montra plus prudent que Jean. Sa tribu se spécialisait dans la chasse, pas dans la grimpette. Il pouvait se déplacer sans un bruit, reconnaître la trace de centaines d'animaux, se repérer facilement, mais grimper aux arbres ne faisait pas partie de ses talents, excepté celui où il dormait, à Tachimono. Décidant de faire route ensemble, Jean le guida à travers sa forêt jusqu'à une clairière. Quelques herbivores s'enfuirent rapidement en les voyant arriver, et les deux garçons en profitèrent pour s'installer.
« Qui es-tu ? » demanda finalement Jean. La présence d'un étranger sur – ce qu'il considérait comme – ses terres le dérangeait et l'intriguait.
« Hyppolyte. Je viens de Tachimono. »
Jean haussa un sourcil, détaillant le garçon par-dessous, ne le laissant pas croiser son regard. Ses cheveux bruns, sa peau brune, et ses muscles saillants confirmaient ses propos.
« Tu es loin de chez toi, Hyppolyte de Tachimono.
— J'ai mes raisons, » fit le chasseur.
Un nouveau silence s'installa. Les deux garçons ne se sentaient pas à leur place, mais ils savaient que leurs chances de survie seraient plus importantes en restant ensemble. La nuit qu'ils venaient de passer leur prouvaient qu'ils connaissaient la forêt, et pouvaient y vivre. Ils tiendraient peut-être un an seuls, mais à quel prix ? La folie les guetterait s'ils ne croisaient aucun être humain, alors qu'à deux, les chances de rester sain d'esprit augmentaient considérablement.
« Où sont ton arc et ton carquois ?
— Perdus, » répondit Hyppolyte. Sa voix resta neutre, mais son visage se ferma légèrement. Jean ne répondit rien, mais ne manqua pas l'éclair de douleur qui passa dans les yeux du chasseur. Visiblement, il venait de traverser quelque chose de difficile, et au fond de lui, il sentit qu'ils avaient plus en commun que ce qu'il pensait.
Silence. Seuls le gazouillement des oiseaux ou le craquement d'une brindille au passage d'un rongeur se faisaient entendre.
« Ecoute, commença l'ancien membre de Tachimono, je dois trouver un endroit où vivre. Pour certains raisons, je ne peux plus rester dans mon village.
— Je connais cette forêt comme ma poche. Il n'y a nulle part où s'installer.
— Et le village des froussards ?
— Pardon ?! s'offusqua Jean, levant pour la première fois son regard vers Hyppolyte.
— Euh… Tes yeux… fit le chasseur, gêné.
— Tu as dit quoi sur le village ?
— Je disais juste qu'il me semblait y avoir un autre village dans les alentours. Ceux qui ne se nourrissent que de baies. »
Jean lui lança un regard glacial.
« Tu peux y aller, si tu veux. Va vivre au milieu des froussards.
— Tu en fais partie, » releva Hyppolyte après un moment.
Seul un pincement de lèvres lui répondit.
« Non. Je n'en fais pas partie. Je vis dans la forêt depuis des années, » répondit amèrement Jean.
Hyppolyte ne releva pas non plus. Chacun souhaitait garder ses secrets, et cela leur convenaient.
« Les animaux viennent pour la plupart du Nord, annonça finalement Jean. Je pense que les terres sont plus favorables.
— Tu vas y aller ?
— Je pense. Je sais vivre de la nature, ici ou là-bas, il n'y a aucune différence. Sauf qu'il n'y aura personne pour me reprocher mon absence, continua-t-il pour lui-même.
— Je peux venir avec toi ? Je sais chasser, et je pourrai toujours assurer tes arrières. »
Jean analysa Hyppolyte du regard, jaugeant ses capacités.
« Je suis Jean, se présenta-t-il finalement.
— Merci, Jean. »
D'un accord commun, les deux garçons décidèrent de se relever. Les ombres commençaient déjà à s'étirer, et les animaux s'habituaient à leur présence. Ils devaient quitter l'endroit.
Ils voyageaient depuis plus de deux semaines, et Hyppolyte se réjouissait secrètement. Les animaux les fuyaient, ce qui, d'un côté, les privait de viande et de repas consistant, mais ce qui cachait sa faiblesse auprès de Jean.
Les jours qu'ils venaient de passer ensemble leur permit de s'apprivoiser et d'accepter leur présence. Hyppolyte cachait en permanence sa peur, mais il tremblait chaque nuit, et il ne s'agissait pas du froid. Quant à Jean, s'il craignait quelque chose, il le dissimulait bien mieux que son compagnon de voyage. Le plus grand des deux hommes respirait le calme et la sérénité. Il marchait avec douceur, et ses pas ne craquaient que rarement dans la forêt. A côté de lui, Hyppolyte qui se savait le pied léger, passait pour un pachyderme. Jean se déplaçait avec fluidité. Il faisait partie de la forêt, et notre chasseur devait reconnaître que son histoire se tenait. Quant-à sa propre histoire, l'Anormal comprenait très bien que Jean la remette en cause. Certes, il l'aidait à trouver son chemin – pas que Jean en ait besoin mais il souhaitait se rendre utile – et montra sa connaissance des animaux à plusieurs reprises, mais comment prouver qu'il pouvait chasser quand tous les animaux les fuyait ? Néanmoins, le roux ne lui fit jamais de remarque. Quelques fois, il lui lançait un regard où il semblait l'analyser, mais ses paroles ne furent jamais déplacées ou inquisitrices.
Pourtant, le chasseur sentait qu'un jour où l'autre, la vérité éclatera. Alors autant avouer avant que Jean ne se décide à se séparer de lui. Mais le clan Tachimono ne se distinguait pas par son courage, alors Hyppolyte ne put se résoudre à ouvrir la bouche avant plusieurs jours.
Autour du petit feu, les garçons mangeait lentement les baies que Jean avait cueillies.
« Jean ? »
Le garçon posa ses yeux verrons sur Hyppolyte. Son regard le perturbait toujours et il baissa le regard avant de le relever rapidement. Un peu de courage, bon sang !
« Euh… Je dois te dire quelque chose… »
Un sourcil se leva. Son silence ne l'aidait pas, mais au moins, il avait son attention.
« Voilà. Euh… Je… Je ne peux pas tuer.
— Comment ça ?
— Je ne peux pas tuer les animaux.
— Tu n'es pas un chasseur ?
— Si ! fit Hyppolyte un peu fortement. Enfin… J'étais. Je suis un Anormal… Donc… La Mère m'a chassé du village.
— La Mère, c'est la chef de votre clan ? »
Hyppolyte acquiesça avant de continuer.
« Quand elle a appris que j'étais un Anormal, que je ne pouvais pas tuer, elle m'a ordonné de partir.
— C'est pour ça que tu n'as ni arc ni flèche.
— On ne peut garder que notre arme en silex, fit le chasseur en désignant son arme accrochée à la hanche.
— D'accord, souffla Jean. Ça ne me dérange pas que tu ne tues pas. Je peux le faire. Débrouille-toi pour nous trouver de la viande. On ne tiendra pas longtemps en continuant à se nourrir de baies. »
Hyppolyte acquiesça. Même si le village où avait vécu Jean ne se composait que de végétariens, le rouquin semblait manger de tout. Son expérience de la forêt devait lui avoir appris qu'un régime varié composait la clé d'un homme fort. (1)
La semaine qui suivit, il se mit à se construire un arc, et des flèches. Jean, qui savait tresser, lui fit un carquois à l'aide de lierre. Il lui en construirait un fait en osier lorsque l'occasion se présenterait. Rapidement, Hyppolyte se mit à l'œuvre. Chaque soir, il posait de nombreux pièges autour de leur campement, et en journée, il guettait chaque trace, chaque bruit pour essayer d'attraper un animal. Le gros gibier continuait de les fuir, mais des lapins se prenaient de temps en temps dans les pièges et permettaient aux garçons de manger un repas plus consistant.
Comme promis, Jean achevait les proies d'Hyppolyte. Ses coups se faisaient assurés, et Hyppolyte compris que sous ses airs doux et rêveurs, Jean cachait un esprit logique et implacable. Il ne pouvait pas savoir que Jean aimait la forêt comme une part de lui-même et que la blesser, elle et ses habitants, lui brisait le cœur. Mais il devait vivre. Alors, sous le regard abasourdi d'Hyppolyte, chaque mort finissait par des excuses et prières silencieuses pour l'âme de l'animal. Ce moment de silence surprenait toujours le chasseur. Pourquoi perdre du temps pour se remettre en marche une fois la bête morte ? Mais Hyppolyte gardait ses questions pour lui et suivait Jean comme son ombre, accomplissant sa part du contrat.
Presque un mois venait de s'écouler, et si les garçons ne partageaient toujours pas tous leurs secrets, ils se connaissaient maintenant plutôt bien, au point de se considérer comme de bons amis. Hyppolyte fascinait Jean. Ce garçon, plus petit que lui d'une bonne vingtaine de centimètres possédait pourtant plus de force que lui. En réalité, Hyppolyte possédait tout ce que Jean rêvait d'avoir. Un physique passe partout si ce n'était une musculature dessinée et un teint halé. Pour lui qui maudissait ses cheveux roux et ses yeux vairons, le poil brun du chasseur et ses yeux couleur bois représentait un rêve inatteignable.
Mais au niveau du caractère, Jean peinait à le comprendre. Depuis le début, il sentait bien que le chasseur l'utilisait pour survivre. Sa vie passait avant celle du rouquin, et ce qui lui appartenait ne se partageait pas. Les objets que possédait Hyppolyte ne rencontrèrent que rarement les mains de Jean, à l'exception du poignard en silex. Par ailleurs, le chasseur se démarquait par son individualité. Le monde qui l'entourait ne l'intéressait pas, sauf s'il représentait un avantage pour lui. Mais en même temps, Jean percevait souvent son regard attentif sur lui. Il faisait preuve d'un grand sens de l'observation, remarquant des petits détails tels qu'une branche brisée au sol ou une légère blessure chez le rouquin. Il prenait soin de ce qui comptait pour lui, et Jean percevait ses efforts pour se faire plus présent, moins secret. Hyppolyte haïssait la faiblesse, mais pardonnait celles de Jean. Il jouait l'ignare mais connaissait une centaine de cris d'animaux, lisait la carte du ciel comme un livre ouvert et prédisait la météo avec une précision impressionnante. Et surtout, son instinct de survie, qui les prévenait de nombreux dangers, incluait Jean.
Oui, Hyppolyte fascinait Jean, et cette fascination le poussa à s'intéresser au garçon. Il lui posa progressivement plus de questions sur sa vie au village, sur ce qu'il pensait des endroits où s'arrêter, et si en journée les deux garçons ne parlaient pas réellement, ils rattrapaient le temps perdu le soir venu. Il en vint à apprécier sa compagnie et à souhaiter que leur voyage ne se termine jamais.
« C'est… le Nord ? s'étonna Hyppolyte.
— Il semblerait… »
Le Nord se présenta à eut d'une manière incongrue. Ici, la forêt s'arrêtait. Pour les deux garçons, les collines qui s'étendaient à perte de vue représentaient un spectacle inimaginable. Ils vivaient dans la forêt et de la forêt et n'imaginaient pas qu'elle puisse s'arrêter.
« Mais… Où sont les arbres ? »
Jean se posait la même question.
« On fait quoi ? » demanda le chasseur.
Jean regarda autour de lui rapidement, estimant le danger.
« On campe ici ce soir. Oublie le feu, je veux voir les animaux qui existent ici, on risquerait de les effrayer.
— D'accord. »
Habitués à vivre au milieu des arbres, ils trouvèrent que la nuit tombait particulièrement lentement. Dans la forêt, le soleil, toujours couvert par le feuillage, cessait d'éclairer tôt, mais ici, seuls les nuages l'empêchaient de faire son travail. Quand la nuit étendit ses bras sur les deux garçons, elle les glaça jusqu'aux os. Le vent qui venait de se lever se glissait sous leurs vêtements et les gelait. Finalement, les deux amis finirent pas se coller l'un à l'autre pour se porter chaud. Jean tenait à observer les collines pour y découvrir les animaux qui y vivaient et Hyppolyte glissa donc son bras autour de la hanche du rouquin. Le plus jeune des deux lui lança un regard insondable avant de se concentrer de nouveau sur les collines.
Aucun des deux ne parlait. Hyppolyte somnolait légèrement – il ne dormait jamais pleinement – tandis que Jean restait focalisé sur le nouveau monde qui s'offrait à eux. Lorsqu'il bougea légèrement, le chasseur ouvrit les yeux. A quelques pas d'eux se trouvait un troupeau entier. Des animaux gigantesques, bruns, au poil frisé, avec des cornes courtes sur la tête.
Hyppolyte jetait des coups d'œil à Jean. Il était plus fasciné par son compagnon que par les animaux. Mais le garçon aux yeux vairons ne s'intéressait qu'au troupeau, les observant attentivement. Ses yeux grands ouverts reflétaient la lumière de la lune et brillaient intensément.
« Ils sont magnifiques… souffla Hyppolyte.
— C'est vrai. »
Puis Jean tourna la tête vers l'autre garçon. Il venait de comprendre qu'ils ne parlaient pas de la même chose. Les yeux de Jean cherchèrent à se fixer quelque part pour gêner sa gêne, mais son corps pressé contre celui d'Hyppolyte l'empêchait de réellement bouger. Il finit par se plonger dans le regard brun du chasseur. Lentement, le rouge lui monta aux joues. Lui qui restait impassible en toute circonstance venait de découvrir la timidité.
Hyppolyte eut un petit sourire. Il ne pouvait pas voir la couleur pivoine de Jean mais il sentait son trouble. Doucement, pour ne pas l'effrayer, il vint saisir sa main. Il n'alla pas plus loin. Il souhaitait juste tenir la main large et ferme de Jean, sentir ses doigts froids sous les siens. Lentement, il se détourna de son compagnon pour observer à nouveau les bisons. Les animaux les protégeaient en partie du vent, et même si ne le froid ne les incommodaient désormais plus, les deux garçons restèrent collés l'un à l'autre.
« Debout ! On doit trouver un endroit pour s'installer. »
Jean venait de secouer rapidement Hyppolyte pour qu'il se lève. Il sortit rapidement du sommeil et se prépara en quelques secondes. En se tournant vers les collines, il remarqua qu'un troupeau de chevaux avait remplacé les bisons. Plus craintifs, ils s'écartèrent quand les deux garçons traversèrent le champ.
Sans les arbres pour les protéger de la vue des autres animaux et auxquels s'abriter, les deux garçons se sentaient comme des cibles mouvantes. Ils ne connaissaient pas et ne maîtrisaient pas ce terrain.
Le rouquin souffrait le plus de ce changement. Avec son mètre quatre-vingt-dix, il se savait repérable à plusieurs mètres et ses cheveux ne l'aidaient en aucun cas. Le feu de ses cheveux se voyait de loin.
« Jean.
— Quoi ?
— Tu devrais cacher tes cheveux… »
Jean tira sur une boucle.
« Je suis trop voyant, hein ?
— J'en ai bien peur… »
Son angoisse le rendait plus bavard. Deux phrases de trop qui le trahissaient, et Hyppolyte s'en rendit compte. Fouillant dans son sac, le chasseur tira une chemise de lin qui venait de son village. Malgré les nombreux lavages, la terre incrustait le vêtement et le rendait marron.
« Prend-ça. »
Jean se retint de parler et attrapa la chemise, l'enroulant autour de ses cheveux. Elle le gênait dans ses mouvements, mais il limitait ainsi les probabilités de se faire tuer. Que ce soit un animal affamé ou des chasseurs, les garçons ne voulaient prendre aucun risque inutile.
Ils marchèrent ainsi toute la journée, et lorsque le soir vint, ils ne trouvèrent aucun endroit rassurant où s'établir. La forêt ne leur offrait plus aucun refuge, et le vent qui balayait les plaines n'apportaient pas les odeurs douces des pins et des chênes. Contre leur gré, ils s'installèrent en haut d'une colline. Ils se savaient voyants, mais cela leur donnait également un point de vue satisfaisant. Comme la nuit précédente, les deux garçons se collèrent l'un à l'autre pour lutter contre le froid.
Jean sentit Hyppolyte trembler contre lui. Doucement, il remit en place la couverture qui avait glissé de ses épaules. Le chasseur ouvrit un œil avant d'émettre un petit son de contentement. Le rouquin le savait, il ne devrait pas trouver ce bruit adorable, mais ses cheveux ébouriffés par le vent, ses paupières lourdes, son nez rougit par le froid le rajeunissait. Et sa barbe, qui commençait à devenir longue, ne parvenait pas à lui retirer son air enfantin. Sans s'en rendre compte, Jean remit une de ses mèches derrière son oreille. Hyppolyte pencha sa tête, et se blottit dans le creux de sa main.
Le garçon de dix-sept ans souhaitait contempler encore le garçon, mais un mouvement au loin attira son attention. Une lumière. Un feu. Au bout d'une torche vu la vitesse à laquelle la lumière se déplaçait.
« Hyppolyte ! Lève-toi ! Ramasse tes affaires. »
Le brun s'exécuta en quelques secondes, aidé de Jean. En moins de dix minutes, leurs attributs se trouvaient de nouveaux dans leur sac. Hyppolyte serrait fermement son arc, et, la main posée sur une flèche, se tenait prêt à tirer. Dans sa main, Jean tenait le poignard en silex de son ami. Il ne possédait aucune arme longue portée, mais il se savait assez rapide et agile pour blesser quelqu'un à l'aide d'un seul coutela.
« On fait quoi ?
— Je… Je n'en sais rien, » souffla Jean.
Hyppolyte le regarda, ébahi. Depuis le début de leur périple, il s'agissait de la seule fois où Jean ignorait la conduite à suivre. Bien que plus jeune que lui de deux ans, Jean résonnait vite et prenait les bonnes décisions. Il demandait parfois l'avis du chasseur, mais principalement pour se conforter dans son choix.
« On attends, alors, décida Hyppolyte. S'ils nous veulent du mal, nous sommes armés. »
Les hommes s'approchaient de plus en plus. Tétanisés, les deux garçons attendaient avec frayeur qu'ils soient à porté de voix.
Jean et Hyppolyte partageaient la même tente. Contre toute attente, la tribu les accueilli avec chaleur. Les hommes que craignaient plus tôt nos garçons n'étaient que des éclaireurs. Depuis plusieurs jours, les chasseurs du village observaient le comportement étrange des animaux. Ceux-ci évitaient certains endroits – ceux où Jean et Hyppolyte établissaient leur camp – et ils en avaient conclu que seuls des hommes pouvaient provoquaient ces changements. Finalement, ils décidèrent d'envoyer des éclaireurs afin de savoir ce que voulaient ces étrangers. Après plusieurs jours de voyage, les envoyés de la tribu trouvèrent les garçons et les ramenèrent au campement.
« Qu'est-ce qu'il va se passer demain, à ton avis ? demanda Hyppolyte.
— Je ne sais pas. Je suppose qu'ils voudront nous parler. Nous sommes des étrangers, après tout.
— Tu penses qu'ils voudront bien de nous ?
— Tu voudrais rester ? s'étonna Jean.
— Pas toi ? »
Le rouquin ne répondit pas. S'il souhaitait rester ou non, la décision ne lui revenait plus. Car parmi les éclaireurs se trouvait un homme de son village. Un homme que tout le monde pensait mort : son père.
Selon les règles de son clan, un chassé ne pouvait faire partie de la même tribu qu'un membre du village. Certes, son père ne vivait plus parmi les siens, mais le fait qu'il soit considéré comme mort et non comme un banni lui donnait toujours le droit de décision sur la vie de son fils.
Jean ne pouvait qu'attendre la décision qui viendrait. Mais s'il devait répondre à la question de son ami, non, il ne souhaitait pas vraiment rester. Son père le mettait mal à l'aise et pour une raison qu'il n'expliquait pas, il ne lui faisait plus confiance. Sa résurrection soudaine semblait cacher quelque chose, et Jean présentait que cette chose ne signifiait rien de bon.
« C'était vraiment ton père, l'homme qui nous a parlé ?
— Hum ? Ouais… souffla le plus jeune.
— Qu'est-ce qu'il faisait-là ? Tu ne m'avais pas dit qu'il était mort ?
— C'est ce que je pensais…
— Ça ne va pas poser de problème qu'il soit là ? »
Au silence qui lui répondit, Hyppolyte compris que l'humeur sombre de son compagnon reposait sur la présence de son paternel. Connaissant son ami, le chasseur n'ajouta rien de plus, mais il se décala pour venir se coller contre Jean. Il sentait à travers leurs côtes collées le cœur de son ami qui battait vite. Beaucoup trop vite.
« Tu as si peur que ça ? le questionna-t-il.
— Moi ? Pas du tout. C'est toi qui a peur. »
Hyppolyte fronça les sourcils et tourna la tête vers Jean. Même dans le noir, ses cheveux roux brillaient et son œil bleu le fixait intensément. Non, il ne semblait pas avoir peur.
« Ils sont vraiment beaux, chuchota le plus âgé.
— Quoi donc ?
— Tes yeux. Et tes cheveux. Toi. »
Même dans le noir, Hyppolyte pouvait sentir la gêne de Jean. Pourtant, le garçon ne bougea pas. Jean vint chercher la main du chasseur et y mêla ses doigts.
« C'est plutôt toi que je trouve beau. Tu es tout ce que je voudrais être. Tu es fort, viril, tu ne te fais pas remarquer. Tu es incroyable. »
Le chasseur n'ajouta rien, mais il attira la main de Jean jusqu'à sa bouche et embrassa chacun de ses doigts.
« Tu… On ne peut pas faire ça.
— Pourquoi ça ?
— Tu es un homme.
— Je sais. Toi aussi.
— Justement ! fit Jean un peu plus fort.
— Ce n'est pas mal, le rassura le chasseur.
— Mais… Ce n'est pas naturel ! »
Hyppolyte éclata de rire.
« Chut ! Tu vas réveiller tout le monde ! Pourquoi est-ce que tu rigoles ? se vexa Jean.
— Tu te moques de moi ? Tu passes tes journées dans la forêt et tu vas me faire croire que tu n'as jamais vu deux mâles ensemble ? C'est naturel ! Deux hommes peuvent s'aimer, s'accoupler, vivre ensemble. Ce n'est pas une tare !
— Tu…
— De quoi est-ce que tu as peur ? demanda doucement Hyppolyte.
— Je… Je ne veux pas être chassé une nouvelle fois parce que je suis différent, avoua Jean
— Comment ça ?
— Je ne ressemblais à personne au village, alors je me sentais exclu. Il n'y a que dans la forêt que j'étais à l'aise, alors j'y passais tout mon temps… Et ma famille a fini par me chasser. Parce que j'étais différent. Et si là c'était pareil ? Et si parce que je… Parce qu'on est différents, les gens du village ne t'acceptaient pas ? Parce que je…A cause de ça…
— Tu peux le dire, tu sais. Que tu m'aimes. »
Les yeux de Jean se brouillèrent de larmes, mais pas une ne roula sur sa joue.
« Ecoute. Je te l'ai dit, deux hommes qui s'aiment, c'est naturel. Si les autres ne le comprennent pas, c'est que ce sont des idiots. En plus, je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais il y a très peu de femmes ici, et encore moins d'enfants. Ça ne m'étonnerait même pas que d'autres personnes soient comme nous. Alors ne t'en fais pas.
— Tu es sûr de ce que tu avances ? demanda Jean. Sa voix ne tremblait pas.
— Certain. »
Au regret d'Hyppolyte, Jean reprit sa main. Il se releva légèrement, et avec hésitation, il vint poser ses lèvres sur celles d'Hyppolyte. A vrai dire, il avait plutôt embrassé son philtrum, mais cela n'empêcha pas le chasseur de répondre rapidement au baiser. Il laissa ses mains collés au sol, de crainte de faire fuir Jean, mais doucement, il laissa ses lèvres découvrir celles de son compagnon.
Tous deux manquaient d'expérience, ils partageaient leur premier baiser, mais ils n'auraient souhaité pour rien au monde qu'il soit différent. Maladroitement, Hyppolyte humidifia ses lèvres, touchant celles de son amoureux au passage. Jean ouvrit les yeux de surprise. Le contact ne le dérangeait pas, mais il restait différent. Maladroitement, il vint à son tour poser sa langue sur celle de son brun. Ce dernier ouvrit spontanément la bouche, accueillant Jean en lui. Leur maladresse leur convenait. Progressivement, ils commencèrent à se toucher. Leurs mains se nouaient, glissaient sur leurs épaules, emmêlaient leurs cheveux. Elles dansaient sur leurs côtes, agrippaient leurs hanches, caressaient leur ventre. Le contact les excitait et progressivement, ils commencèrent à onduler le bassin, frottant leur demi-érection l'une contre l'autre.
Ils se découvraient lentement, mais ils savaient ce qu'ils voulaient. Finalement, Hyppolyte glissa sa main sous le pantalon en cuir de Jean et vint caresser sa hampe rigide. Ses doigts vinrent chercher ses bourses, les soupesant délicatement. Le chasseur se délectait des halètements de Jean. Jean ne gémissait pas, il ne faisait pas de bruit, mais son corps qui ondulait et se courbait sous les attouchements de son amant comblait Hyppolyte. La simple vision de son compagnon, dévoré par le plaisir, suffisait à approcher le chasseur de la jouissance. Il sentait son propre membre, suintant, coller contre son pantalon et de son autre main, il vint saisir sa verge gonflée pour se satisfaire. Jean vint avant Hyppolyte, et ses cris silencieux suffirent à faire jouir son amant.
Epuisés par leur orgasme, les deux garçons se collèrent l'un à l'autre. Ils s'endormirent rapidement, tous leurs problèmes oubliés.
« Pourquoi êtes-vous venus au Nord ? demanda le père de Jean. »
Celui-ci semblait être le chef de cette tribu. Placés en arc-de-cercle autour d'un foyer, les hommes les plus importants du clan faisaient face aux amants. Leur proximité ne trahissait aucune affection particulière et les événements de la nuit passée semblaient ne pas exister. Seuls leurs cœurs qui battaient en harmonie témoignaient de leurs âmes unies.
« Nous cherchons un nouveau départ, avoua Hyppolyte.
— Pourquoi ?
— Nous avons été chassé de notre tribu, continua-t-il.
— A quelle tribu appartiens-tu ? demanda le chef.
— Je viens de Tachimono, et mon compagnon vient d'un village aux maisons de pierre.
— Je connais ce village. Pourquoi avez-vous été chassés ?
— Nous sommes différents, fit Jean d'une voix forte.
— Différent en quoi ?
— En tout, répondit-il calmement à son père. »
Un silence s'installa. Les hommes semblaient réfléchir au sort des deux garçons.
« En quoi pourriez-vous nous être utiles ? Le clan de Tachimono est connu pour ses chasseurs compétents, mais le village aux maisons de pierres ne comprend que des pacifistes, des hommes inutiles. »
Hyppolyte sentit son ami se tendre à côté de lui.
« Si vous ne souhaitez pas nous accueillir dans votre village, libre à vous de le faire, père, cracha Jean. Je n'ai pas une haute estime de vous, sachant que vous avez laissé mère seule et à sa charge, douze enfants. Nous vous pensions morts, une cérémonie a été faite en votre honneur mais il semblerait que vous ayez pris la fuite et que cette cérémonie n'ait été qu'une mascarade pour sauver l'honneur de ma mère.
« Vous me connaissez, père. Vous savez ce que je vaux. Mon compagnon a déjà fait ses preuves. Le nom de son village ne trompe pas. Il sait chasser et vivre de la forêt. Mais je refuse de m'abaisser devant vous. Je me moque de faire partie de votre clan, ce qui m'importe, c'est de vivre en paix.
— Tsss, siffla son père. Tu es bien comme ta salope de mère. Un égoïste, un faible et un pacifiste ! Un gamin inutile de plus, voilà ce que tu es. »
Hyppolyte se leva brusquement.
« Pardon ?demanda froidement le père de Jean.
— Je crois que nous n'avons plus rien à faire ici, » annonça Hyppolyte.
Le conseil du village, scandalisé, se leva, à l'exception du père de Jean qui resta impassiblement au sol. Un désordre se créa où chacun parlait sans attendre son tour.
Jean regardait Hyppolyte, le cœur gonflé d'amour. Ses yeux brillaient d'une émotion mal contenue. Leurs regards se croisèrent et le chasseur lui fit un léger sourire, semblant dire « Là où tu vas, j'irai. »
« Où irez-vous si vous partez ? fit un ancien, sa voix âgée se détachant des autres par son calme.
— S'il y a une vie pour nous au Nord, alors nous continuerons notre route. Sinon, nous irons à l'Est, ou à l'Ouest, répondit Jean, se détournant du regard de son ami.
— Il existe un autre village. Ce sont des sédentaires, contrairement à nous, mais leurs terres sont bien protégées. Nous commerçons régulièrement avec eux.
— Où se trouve ce village ? demanda le rouquin.
— Une trentaine de kilomètres à l'Est de notre position. »
Les deux garçons se concertèrent du regard.
« Merci, l'ancêtre. »
Le vieux leur répondit d'un hochement de tête. Sans plus de discussion, les deux garçons retournèrent à la tente qui leur avait été prêtée pour la nuit. Ils ramassèrent leurs affaires, et moins d'une heure plus tard, ils prenaient la route du village.
Le Nord semblait vouloir d'eux, en fin de compte.
O.o.O.o.O
(1) Pour les végétariens qui passeraient par-là. Je ne remets pas en cause un régime alimentaire composé uniquement de légumes / sans viande. Je sais très bien que l'on peut satisfaire ses besoins en vitamines, protéines et tout ce qu'il faut en ne consommant que des végétaux.
Merci d'avoir lu mon OS jusqu'au bout. N'hésite pas à laisser une review, en bien, en mal, je suis ouverte :)