Chapitre 10. Combinaison d'ingrédients inflammables.

La dimension des sorciers est aussi vaste qu'elle est dangereuse.

Les forêts peuvent aussi bien être composées d'arbres guérisseurs que de plantes carnivores à l'apparence inoffensive. Les fleurs peuvent aussi bien être curatives qu'empoisonnées, les plus colorées étant souvent les plus dangereuses.

L'accès aux forêts est contrôlé par un gardien qui comme son nom l'indique protège et défend son environnement. Comme son homonyme protecteur des portails, il est capable de tout pour mener à bien sa mission.

Si vous vous aventurez dans son domaine, gardez toujours à l'esprit que si vous ne le voyez pas, cela ne signifie pas que lui ne vous voit pas.

Quelques conseils pour survivre dans le monde hostiles des surnaturels.

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- J'aimerais dire que vous êtes tous innocentés. Malgré la superbe intervention d'Isaak, on ne peut rien affirmer avec tant de certitudes. Il suffirait que les 'bonnes questions' n'aient pas été posées.

Au mot superbe, Isaak se crispa et je ne savais trop si c'était parce que ce terme lui était intimement destiné ou s'il estimait que son 'intervention' équivalait à une trahison.

- Si vous n'êtes accusés de rien, vous n'êtes pas non plus pleinement dédouanés. En vertu de cela, nous avons décidés que vous résiderez tous dans le manoir Sinistra, en attendant que le problème soit réglé.

Tobias s'apprêtait à protester mais fut coupé par Aaron.

- Exception faite évidemment de Tobias, qui sera suivis dans tous ses déplacements par un sorcier que nous choisirons.

Katya poussa un petit cris, je suppose qu'il était hors de question pour elle, comme pour nous tous, de rester auprès de ces sorciers de malheurs.

- Ils ont le droit de faire cela ? murmura la jeune et belle louve à mon intention.

J'haussais les épaules.

- Ils ont tous les droits, en théorie ils pourraient tous nous enfermer dans les donjons humides de leur « manoir ».

C'était une vérité d'une injustice criante, parce que nous n'avions rien fait, mais qu'on ne nous laisserait apparemment pas tranquilles tant que l'enquête n'aurait pas été menée à son terme.

- Tobias a le droit à une faveur parce qu'il est haut placé dans la hiérarchie métamorphe française. Il ne faut pas en attendre autant en ce qui nous concerne.

Sevastyan était le seul d'entre nous à ne pas être concerné par cette restriction. Ils avaient pourtant bien joué leur coup en mettant à résidence sa compagne, parce qu'il ne voudrait pas être séparé d'elle et leur permettrait donc de le garder à l'œil tout en prétendant auprès de son oncle, l'avoir mis hors de cause.

- Vous disposez de quelques heures pour réunir vos affaires, puis vous serez attendus chez les Sinistras, conclu Aaron avec un petit sourire.

Abattus nous nous apprêtâmes à nous détourner pour faire le meilleur usage possible du peu de temps qui nous était impartis, quand Aaron reprit la parole.

- Sauf toi, Isaak. Tu restes avec moi.

Je pus voir le furtif regard assassin que lui envoya le loup blanc. Isaak ouvrit la bouche dans le but de répliquer mais fut coupé par le grand loup déterminé.

- Ils peuvent bien réunir pour toi des affaires, quant à nous, nous avons à parler.

Isaak fronça les sourcils et arbora un air colérique qui fit rougir ses pâles pommettes. Sa beauté semblait être sublimée par sa colère.

- Je n'ai rien à te dire, finit par s'écrier Isaak, d'une voix grave et dangereuse.

- De mon côté, j'ai plein de chose à te dire, mais si tu préfères faire autre chose que parler…

La réplique sembla mettre encore plus Isaak en colère, tout le monde pouvait voir ses yeux briller de rage et ses poings se contracter d'envie de frapper l'autre loup au visage.

- Je ne veux rien avoir à faire avec…

Alors qu'Isaak s'apprêtait à le rabrouer vertement, Aaron siffla et s'expliqua avec une mine réjouie.

- Tu ne veux pas qu'on poursuivre cette discussion autre part ?

Si la voix était suave, les yeux quant à eux étaient prédateurs et nul doute n'existait dans mon esprit que si Isaak consentait à le suivre, il n'hésiterait pas un instant à le dévorer.

Aaron enserra la taille d'Isaak dans une prise ferme et ne le relâcha pas malgré ses vives protestations.

- Dieu que j'aime déjà les scènes de ménages avec toi, s'amusa Aaron en pressant son corps contre celui du loup qui luttait toujours contre sa prise.

Nous fûmes bien obligés de partir puisque nous avions été congédiés et quand nous passâmes la sortie, je pus entendre le cris de protestations d'Isaak qui semblait pourtant être parvenu à échapper à la poigne de son admirateur, au vu des rires chaleureux de l'autre homme.

Je dus attraper Tobias par le bras pour le forcer à quitter la pièce, tant il avait envie d'aller soutenir son frère.

- Aaron n'est pas méchant, il tente simplement de séduire ton frère, il ne le forcera à rien.

Il ne sembla pas rasséréné par mes paroles qui s'étaient pourtant voulues rassurantes.

- Il n'est pas en sucre, Popaul … S'il le souhaitait vraiment, il l'aurait mordu ou aurait sorti les griffes. Il semble étrangement vouloir se laisser 'courtiser'.

Je ris à ces mots, Sevastyan était très perspicace. Isaak était un loup féroce qui ne se laissait impressionner par personne et qui avait pour habitude d'ignorer les ordres de tout le monde et de n'en faire qu'à sa tête.

Je ne comprenais cependant pas pourquoi il se laissait ainsi approcher par l'autre homme, alors même que son simple contact aurait dû le rebuter au vu de sa situation. Peut-être était-il simplement à l'ouest justement à cause de la mouise dans laquelle il s'était embourbé, peut-être que son loup s'était replié sur lui-même à force qu'Isaak repousse sa destinée.

Je n'y croyais pas vraiment, mais son statut ne semblait pas l'avoir empêché de séduire avec son corps et ses paroles nombres de femmes lors de la fête du Dieu loup. Alors peut-être n'était-ce qu'une manœuvre de plus pour se moquer du destin. Il appréciait certainement la vigueur du désir que manifestait le loup très puissant et ancien à son égard et cette chaleur réchauffait-elle peut-être son âme douloureuse du rejet qu'il ne cessait d'opérer. Il était logique autant à ses yeux qu'aux miens que le désir de le posséder d'Aaron était honnête et qu'il avait conscience de quel loup puissant Isaak était et que ce fait ne faisait que l'attirer davantage.

Alors que nous marchions dans les rues plutôt fréquentées, la pluie se mit à tomber à grandes eaux.

Alors que Sofia levait le visage vers le ciel et laissait la pluie humidifier sa peau avec un soupir de satisfaction, je laissais la magie m'imprégner lentement, puis la réunie entre mes mains. Je fis un mouvement circulaire discret des doigts, usais d'un mot de pouvoir et nous protégeâmes de la pluie qui se faisait lentement plus virulente. Plus le sorcier était capable d'économiser ses gestes en jetant des sorts, plus il faisait preuve d'une maîtrise de ses pouvoirs. Il n'y avait bien que les sorciers de pacotilles qui faisaient usage d'une profusion indécente de gestes et s'amusaient à crier leurs mots de pouvoirs, simplement pour attirer la foule.

J'avais pu jeter ce sort sans soucis parce que le contact que j'avais établis avec Flavie avait supprimé la potion malsaine- avec laquelle je m'empoisonnais- de mon organisme. Un mal pour un bien donc.

Vasilis vint me prendre le bras et marcha à mes côtés.

- Merci Ana.

Je cognais mon épaule contre son bras pour attirer son attention autant que pour répondre à son discret remerciement.

- A quelle sauce t'as t'on cuisiné ?

Vas' gloussa, ses yeux bleu-gris dans les miens.

- Un sorcier qui m'avait tout l'air de venir tout droit d'un gang m'a cuisiné aux petits oignons sous le regard acéré de mon propre frère. Je crois que je n'ai jamais été aussi content de voir Isaak pour ne pas être seul avec ce sorcier qui sentait littéralement la magie.

Je ris à mon tour, les loups étaient par définition mal à l'aise en présence des sorciers et nul doute qu'il n'avait pas eu à faire face au plus faible d'entre eux. Je ne doutais pas non plus du fait que le déluge de magie avait dû avoir une odeur au nez entraîné du vieux loup.

- Une odeur de brûlé, d'humidité, de terre ? l'interrogeais-je pour tenter de cibler la magie du sorcier.

- Une odeur de sapin et de clous de girofle.

J'écarquillais les yeux aux mots de Vasilis.

- Le clous de girofle ce doit être lui, mais pas le sapin. Le sapin ne concerne généralement que les elfes. C'est Hugo. Le sorcier d'esprit, Vas' !

Le loup haussa les sourcils.

- Celui du génocide elfique ?

Je m'écriais, sidérée en réponse.

- Celui-là même.

- Il est assez particulier, les traits taillés à la serpe, des tatouages partout sur le corps – de ce que j'en ai vu du moins- y compris sur le visage. Une larme de sang à la lisière d'un de ses yeux notamment.

Je secouais la tête, il portait le deuil d'un proche et avait choisis de se l'imprimer sur l'épiderme apparemment. Un choix particulier aux sorciers, nous portions souvent sur notre peau le signe distinctif de nos souffrances.

- Il m'a surtout fait parler de Sevastyan, de ce que je savais de son cousin. Ce qui se limite à ce que j'ai appris après le crime. Ça a été vite expédié et c'est pour le mieux. Je n'ai pas aimé sa façon d'être, il est resté calme mais tout était dans la retenue, comme s'il retenait sa bête intérieure. Il a une façon de vous regarder, comme s'il pouvait lire dans votre âme.

Je secouais la tête.

- Il n'est ni Empathe, ni télépathe. Il aurait certainement pu atteindre ton âme et la corrompre, en revanche.

Vasilis plissa les yeux, puis fini par me sourire.

- Très rassurant.

Sur cette conclusion légère, nous fûmes interrompus par Tobias qui semblait d'humeur à nous confier le contenu de sa propre entrevue.

- J'ai pour ma part eu affaire à un sorcier que j'ai déjà croisé en de rares occasions. Un certain Maxim, il me semblait qu'il s'agissait du capitaine du coven. Il a un charisme à fleur de peau, mais il l'exerce d'une façon que je trouve très maîtrisé en prenant en compte son 'jeune' âge.

Tout le monde avait entendu parler de Maxim, sa puissance était incontestable et la façon dont il arrivait à mener les membres de son coven était admirée de tous. Il ne faisait pas parti de ces chefs qui s'imposaient en humiliant et affaiblissant les autres. Il s'imposait par la justesse de ses ordres, par l'humanité de son comportement et par le charisme dont tout le monde m'avait jusqu'ici fait les louanges.

Il n'était pas jeune à proprement dit, mais avec ses cinquante et quelques années, il faisait figure de jeunot dans la communauté sorcière et plus généralement surnaturelle. Cela aurait pu rendre sa posture instable, mais sa manière d'être et de 'régner' avait fait de lui au contraire un allié recherché et un chef adoré que personne ne songeait à détrôner.

Personne ne s'accordait véritablement sur son apparence puisqu'il était avare de ses apparitions publiques, mais tous convenaient qu'il était un homme séduisant.

- Il m'a parlé comme à un égal et cela m'a vraiment plus. Tobias me jeta un regard satisfait. Et tu sais à quel point je déteste les sorciers pédants, bien trop convaincus de leur valeur.

Rien de plus logique à mes yeux, puisqu'il était connu pour être proche d'Aaron. Quel métamorphe méritait davantage qu'Aaron d'être respecté ? Si Maxim était habitué à la présence d'un loup aussi puissant et célébré dans la communauté métamorphe qu'Aaron, il était parfaitement logique qu'il soit au point sur la façon de se comporter face à un loup comme Tobias.

Aaron avait dû ouvrir les yeux du puissant sorcier sur l'idée que les métamorphes ne sont pas des bêtes et sont aussi intelligents que n'importe quel autre surnaturel.

- Il n'a pas fait étalage de sa magie et n'a pas dit un mot plus haut que les autres, malgré mon insistance à dégoiser le moins de mots possible.

Je ris aux termes utilisés par Tobias, je n'étais pas étonné de son comportement. Il avait été énervé par l'insistance qu'avaient eu ces sorciers à nous considérer comme des présumés coupables et cela ne l'avait pas rendu ouvert à la discussion. Cela rendait le flegme du sorcier d'autant plus admirable que je savais à quel point Tobias pouvait être frustrant et horripilant quand il s'y mettait.

- Il ne fallait pourtant pas s'y tromper, il me faisait l'image d'un volcan sur le point d'imploser. Si sa maîtrise est parfaite, il semblait cependant à un fil d'entrer en éruption.

Il devait posséder une magie très puissante pour que cela soit même perceptible aux yeux profanes d'un loup.

- Mes réponses monosyllabiques ne semblaient pas atteindre son sang-froid, mais je pense de toute façon qu'ils ne pensent pas véritablement que nous soyons coupables.

- Pourquoi donc ? m'étonnais-je.

- Ils sont trop intelligents. Ils pourraient suspecter que nous soyons au contraire visés. Ils doivent vouloir nous protéger. Si quelqu'un s'en est pris à Isamène pour porter atteinte à Sevastyan ou à son père ? Si pour atteindre Sevastyan, on s'en prenait maintenant à Katya, à son frère, sa sœur ou à moi Pour briser Katya et faire souffrir notre vampire ?

Je voyais de la logique dans les propos de Tobias, mais j'espérais vraiment que ce qu'il suspectait était faux. Je préférais encore être accusée de ce crime -puisque nous finirions de toute façon disculpés- que d'être la cible d'un quelconque monstre.

- Ils savaient que nous n'accepterions pas leur protection, alors ils nous l'ont imposé.

Il semblait trop sûr de ce qu'il disait.

- Arrête de mentir. Il te l'a dit, n'est-ce pas ?

Il était le type d'homme à peser patiemment toutes les solutions d'un problème avant de résoudre ce dernier sur papier, alors sa conviction qui ne semblait pas laisser de place à d'autres suspicions me semblait irréaliste.

- Bien sûr, me souris Tobias, alors que le cris indigné de son frère résonnait à mes oreilles.

- Nous en avons discuté quand j'ai enfin accepté d'ouvrir la bouche pour jouer à autre chose qu'au Ouija. J'ai accepté que vous soyez tous bien protégés et en échange j'échappe aux mailles du filet.

- T'es sérieux, mon frère ? s'indigna Vasilis en bousculant le plus âgé d'énervement.

Pour ma part, je n'en croyais pas mes oreilles. Ils nous avaient jetés dans la gueule du loup ! Je me sentais trahie. Nous étions supposés tous prendre soin les uns des autres et il prenait une initiative à sens unique ?

- On ne peut plus sérieux, c'est mon rôle de vous protéger.

Il jouait au mâle dominateur et j'haïssais cela.

- Pas en tant qu'alpha, tu le sais. Tu es supposé nous soutenir mais jamais nous contraindre, fit remarquer Vasilis, le regard noir et le verbe acide.

- Je n'ai pas agi en tant qu'alpha… Mais en tant que chef de famille, je ne pourrais admettre que ma famille soit en danger.

Alors même qu'en se libérant de cette contrainte qu'il nous imposait, il se mettait lui-même sciemment en danger ? Il ne nous avait pas consulté pour prendre cette décision et nous ne saurions jamais s'il nous l'aurait caché si je ne l'avais pas confondu. Il n'avait pas le droit de prendre cette décision seule.

Sofia surgit sur notre chemin, l'œil dur, les lèvres pincées et les bras croisés de détermination.

- Tu n'avais pas le droit de faire cela, nous n'accepterons pas facilement de côtoyer ainsi ces sorciers.

- C'est bien pour cela que j'ai pris cette décision seul !

C'était un cris du cœur, il nous avait à sa charge et estimait avoir l'autorisation de faire des choix que nous n'approuverions pas. C'était inadmissible, mais nous ne pouvions plus rien y faire.

- Peut-être que cela empêchera également Sevastyan de faire des bêtises, ajouta Tobias en haussant les épaules, l'air sombre.

Effectivement, peut-être que cela obligerait Sevastyan à reconsidérer le fait de se venger sans avoir l'aval des Sinistras.

- Je déteste avoir à dire cela, mais je pense que tu as eu raison papa, ajouta Katya avec un sourire lumineux qui contrastait avec les mines sombres que nous affichions tous.

Sevastyan protesta vaguement sous la forme d'un grognement inintelligible et Vasilis resta renfrogné tout comme Sofia qui n'avait toujours pas décroisée ses bras.

J'étais plus tangente sur le sujet, je comprenais en quelque sorte les bienfaits de cette décision mais luttais contre l'idée de devoir fréquenter à longueur de journées des sorciers. Je ne pensais pas pouvoir le supporter sans avoir de nouvelles crises de panique, je ne pensais pas pouvoir supporter cette situation sans broncher.

Tobias devait sentir mes émotions bouleversées parce qu'il m'adressa des paroles qu'il voulait rassurantes.

- Tu savais que cela finirait par arriver. Tu ne peux rester éternellement loin des tiens. Tu as résisté aussi longtemps uniquement grâce à la présence d'Isaak.

Même si j'avais envie de nier, ce serait une bêtise. Je n'avais jamais vraiment réfléchi à cela, mais les sorciers avaient besoin de la magie volatile d'autres sorciers pour subsister et continuer à maîtriser et faire évoluer leur magie. Je n'avais pas à proprement parlé régressée mais mon pouvoir ne semblait pas fluctuer pour autant. Cela ne posait pas de graves problèmes, parce que ma magie était de faible importance et que je ne prenais pas vraiment le risque de la faire déborder, mais elle ne me le permettrait certainement pas plus longtemps.

Pas maintenant qu'elle avait gouté à l'énergie de Flavie et de tous ces personnes que j'avais croisés dans les rues marchandes de la ville sorcière. Ça avait été presque orgasmique de mélanger même brièvement nos auras, comme une bouffée d'énergie qui m'emplissait. Malheureusement cela avait été également effrayant. Les auras de mes paires exerçaient sur moi une drôle d'attraction/répulsion.

On ne m'avait pas expliqué cela quand on m'avait abandonné. On ne m'avait pas dit que si je ne trouvais pas de foyer sorcier, je finirais pas m'éteindre ou voir ma magie s'éteindre. Je ne savais pas qu'un bannissement équivalait en quelque sorte à une condamnation à mort. Cela était resté flou dans mon esprit quand cela avait été abordé en cours. Comment une gamine d'une dizaine d'année aurait-elle pu penser qu'elle se retrouverait un jour sans moyen de subsistance et sans foyer ?

Même ces dernières années, je n'y avais pas pensé, parce que je me sentais très bien. Cependant le mal était innommable et imperceptible et ne faisait que bouffer le sorcier lentement. Tobias ne m'en avait évidemment jamais parlé jusqu'ici parce qu'Isaak était là et qu'il ne voyait certainement pas de raison de m'effrayer davantage.

La vérité était là, j'avais besoin des sorciers mais j'avais beaucoup de mal à garder mes nerfs quand j'étais en leur présence.

J'avais les larmes aux yeux maintenant.

- Non, je ne savais pas. Je pensais que nous pourrions rester comme cela…

- Nous aurions pu, si nous étions sûr qu'Isaak resterait toujours auprès de nous.

Isaak serait certainement obligé de nous quitter quand il serait accouplé, comme s'était souvent le cas, aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

Il sonnait toujours à un moment ou à un autre, une envie d'indépendance et d'intimité.

Et comme il avait une âme-sœur, l'heure avait sonnée pour moi de me débrouiller seule.

Rapidement nous nous retrouvâmes à nouveau face au même mur de briques qu'à l'aller. J'utilisais à nouveau ma magie pour le traverser et ainsi nous nous trouvâmes dans le couloir qui servait d'antichambre à la ville magique.

Alors que la question de notre départ aurait pu se poser, le gardien nous surpris à nous avoir attendu à l'intérieur même de l'antichambre afin de nous ouvrir le portail.

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Sofia m'aida à réunir mes affaires pour notre aménagement ce qui ne fut pas évident, parce que tous nos vêtements et mobiliers avaient été dument empaqueté pour notre déménagement dans la meute de Tobias. Nous étions supposé emménager dans le Loiret demain, mais tout notre programme avait été bouleversé par cette assignation à résidence des Enquêteurs.

Avec l'aide de la magie, je soulevais dans les airs mes vêtements pour les soumettre au choix de Sofia, qui avait l'avantage d'être preste dans ses décisions, ce qui n'était pas mon cas.

Ça fusait sous forme de ' NON-OUI-OUI' ou encore de 'OUI-NON-OUI'. Emballé c'était pesé !

Une fois les robes, pantalons, jupes, chemisiers, pulls et sous-vêtements choisis je rangeais tout dans une immense valise d'un sort bien pesé.

Sofia s'assit même sur la valise pour m'aider à la fermer correctement. Dans mon Vanity nous réunîmes tous mes produis de beauté et dans un sac supplémentaire nous entassâmes tout ce qui ne rentrait pas dans ces catégories mais qui m'était essentiel.

J'hésitais à prendre avec moi ma réserve de potions et certains de mes ingrédients mais j'abandonnais l'idée puisqu'un clan de sorciers aurait bien de quoi me fournir en ingrédients pour mes concoctions.

Quand nous eûmes finis, nous nous frappâmes dans les mains avec un cris de guerre.

Une fois cela fait, nous nous couchâmes avec un soupir sur mon lit. Sofia se tourna vers moi et me dit avec un sourire satisfait aux lèvres.

- Je suis contente de ne pas être celle qui est chargé de réunir les affaires d'Isaak. Je ne veux vraiment pas fouiller dans les sous-vêtements et tables de nuits de mon oncle, fit-elle en frissonnant.

- Il criera quand il apprendra que Vasilis s'en est chargé. Et il ne tardera pas à le comprendre parce que Vasilis trouve toujours quelque chose pour son moquer de son frère.

C'était bien vrai, Vasilis aimait véritablement se moquer de ses frères et sœurs, Isaak le lui rendait bien mais Tobias et Yuliana y restaient insensibles.

Je me retournais sur le ventre et posais ma joue contre la couette duveteuse.

- Je suppose que tu n'as fais qu'un seul morceau de ton Enquêteur ?

Sofia savait être… féroce.

- A moins que tu n'ais été trop occupée à fusiller Isaak des yeux ? insinuais pour lui retirer son sourire victorieux.

Je fixais mes yeux dans les siens, veillant bien à avoir l'air fâchée.

- Je ne crois pas qu'il méritait un tel comportement de part. Imagines le déchirement que ça a été pour d'être l'Allié désigné de ces sorciers ? Il a pas choisi cela et ne méritait pas ton mépris !

Sofia se redressa pour me défier du regard et me dominer de sa position surélevée. Je fis le choix de ne pas entrer dans son jeu et de simplement fermer les yeux, la joue toujours pressée contre mon couvre-lit.

- Jamais je n'aurais consenti à une telle chose… As-tu vu la façon dont il a laissé ce loup l'approcher…

Pour le coup, elle m'avait vraiment mise en colère, je me redressais comme secouée par ses paroles. Les coudes sur le lit et mon regard dans le sien, je l'interrompis.

- Si tu insinues qu'il serait de connivence, je t'arrête tout de suite. Ce n'est pas parce qu'il l'a croisé au dernier sommet, qu'ils ont échangés quelque mots avant les interrogatoires qu'Isaak peut être accusé d'être contre nous.

Sofia fit un geste sec de sa main pour balayer mon argument.

- Peut-importe. J'étais énervé de le voir là, mais ça m'est passé.

Je n'étais pas convaincu mais n'allais pas faire une esclandre pour si peu.

- Bref, changeons de sujet. Alors, cet Enquêteur ?

Sofia soupira mais me suivis dans une direction moins difficile.

- Je l'ai piétiné sous mes talons. Il avait beau cracher des flammes, je n'admets pas qu'on nous accuse comme cela. « Comment pouvez-vous ne pas connaître Isamène alors que votre sœur est la compagne de son cousin ? » Non mais sérieusement ! Comme si nous parlions tous entre nous de nos arrières petit-neveu ou cousins au dixième degrés.

Sofia leva les yeux au ciel et ses doigts jouèrent nerveusement avec la couverture sous elle. Elle se pencha vers moi avec un sourire taquin aux lèvres.

- Et toi ?

Je sortis ma langue pour humifier mes lèvres sèches et fis la moue.

- Une semi-elfe qui était vraiment heureuse de faire ma connaissance.

Sofia haussa les sourcils intriguée.

- Une voyante qui aurait préférée échanger des anecdotes avec moi, que de m'accuser de quoi que ce soit.

Sofia me poussa légèrement sur le bras.

- Chanceuse !

Je gloussais et la poussais à mon tour.

- Elle m'a vaguement interrogée sur Sevastyan et son cousin, que comme toi je ne connaissais ni d'Orphée, ni d'Eurydice[1]. Elle ma demandé de lui parler de mon pouvoir et des gens que j'avais unis.

Je rigolais en y repensant, elle avait dû mettre un terme à notre conversation, mais elle rêvait que nous puissions converser davantage. Je le cachais bien, mais j'aurais apprécié également en savoir davantage sur elle et apprendre de son expérience.

Cependant nous en aurions l'occasion puisque nous étions tous assignés à résidence.

Je rampais sur le lit et laissais retomber mes pieds sur le sol.

- Je crois qu'il est temps de s'en aller.

Je jetais un dernier regard à ma chambre, transportant mes valises et celles de Sofia qui traînaient dans un coin de la pièce par magie derrière nous.

Sur le chemin que nous prenions pour quitter la résidence, j'embrassais du regard chaque pièce qui avait accueillis ma renaissance.

Maintenant que j'avais ressuscité peut-être était-il temps de prendre encore un nouveau départ et apprendre à faire plus que vivre, apprendre à être heureuse. Peut-être avais-je besoin davantage encore de ces sorciers que je ne le pensais.

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Bet' – qui nous avait accompagné jusqu'aux Sinistras cette fois-ci- nous laissa devant une grande porte finement ouvragée sans un mot.

Alors que je m'apprêtais à poser ma main sur le bois sculpté, la porte disparue ainsi que les murs qui l'entouraient pour laisser à la place à une villa immense tout de verre parée, d'une architecture géométrique et d'un blanc moderne. On pouvait apercevoir en contrebas, des jardins que de nombreux châteaux jalouseraient, deux terrains de tennis – un en gazon, l'autre en terre battue- et une gigantesque piscine.

- J'aime le bois, mais ça… C'est waouh !

Nous acquiesçâmes tous sans un mot aux propos de Katya.

De plus derrière l'immense bâtiment se trouvait également une forêt d'arbres propres à la dimension sorcière. Des arbres guérisseurs pour la plupart, dont la sève faisait des miracles et était même capable de ralentir le VP -Vieillissement prématuré-.

Du moment qu'ils n'attentaient pas à la vie de nos arbres millénaires, j'imaginais que les loups auraient le droit de la parcourir sur quatre pattes.

Nous fûmes accueillis discrètement par Flavie qui nous amena dans un des grands salons de la demeure. Katya s'assit dans un fauteuil confortable et son compagnon sur un des accoudoirs. Sofia rejoignit Tobias et Vasilis sur le canapé. Kylian préféra quant à lui la causeuse qui était accoté à la fenêtre, lui permettant ainsi s'observer la lisère de la forêts et ses arbres aux mouvements psychédéliques.

Je ne tenais pas en place pour ma part et n'imaginais pas laisser entrer dans cette pièce pourtant vaste nombres de sorciers trop puissants. C'eu été comme faire entrer le lion dans l'arène de jeux antiques alors que des esclaves étaient démunis et sur le point de se faire dévorer. Je préférais encore être le lion et ne pas laisser d'autres faire de moi un être passif qui subirait leur présence. Je voulais aller au-devant de ma peur, plutôt que de la laisser me dominer assise dans un fauteuil trop confortable pour ma santé mentale.

Sous les protestations de ma famille, j'ouvris la porte et m'échappais de cet espace clos qui me rendait claustrophobe. Avec davantage dans l'idée de m'échapper que d'explorer un lieu inconnu et qui pouvait bien m'être hostile et que la politesse ne l'autorisait pas à parcourir sans autorisation.

Pendant plusieurs minutes je ne croisais personne dans le couloir que je traversais et je m'obstinais à suivre peu importe où il me mènerait.

Alors que je m'étais interdit d'ouvrir les portes qui jalonnaient mon chemin, je surpris un bruit de fracas venant de derrière l'une d'elle.

Je m'immobilisais et observais cette porte close, hésitant à l'ouvrir. Peut-être que quelqu'un avait eu un problème et avait besoin d'aide ?

Alors que j'avais tendu une main vers la poignée de porte sur le point de l'ouvrir, je me rétractais. Je n'étais pas chez moi et les sorciers n'étaient pas démunis, celui-ci pouvait bien se débrouiller sans moi. Et puis personne n'avait appelé, donc aucune aide n'était requise.

Soudain un gémissement atteignit mes oreilles. Vraisemblablement quelqu'un avait véritablement un problème. Je pris mon courage à deux mains et le cœur battant ouvris la porte.

Alors que je m'attendais à voir quelqu'un blessé au sol, limite agonisant. Je fis face à une scène toute autre.

Dans cette pièce deux personnes s'embrassaient. L'une était pressée étroitement contre un mur et ses bras étreignaient vigoureusement un dos musclé. L'homme dont je ne voyais que le dos avait ses deux avant-bras plaqués sur le papier peint à motifs géométrique et dissimulait à ma vue le visage de l'être qu'il étreignait.

J'eus un hoquet surpris que je ne pus malheureusement ravaler.

Le son sembla sortir les deux inconnus de leur transe et ils me firent face.

La première chose que je perçus fut qu'il s'agissait de deux hommes.

La seconde qu'ils n'étaient autres qu'Isaak et Aaron. On ne pouvait confondre les yeux d'Aaron ou même les cheveux d'Isaak, ils étaient inimitables.

Un cri me rappela à l'ordre depuis le couloir, c'était Katya qui m'appelais pour me dire que les sorciers étaient arrivés et qu'ils m'attendaient pour nous parler à tous.

J'étais paralysée.

Isaak était le compagnon d'Aaron, c'était devenu évident dans mon esprit.

Il n'aurait jamais pu faire cela avec quiconque d'autre que son âme-sœur. S'il était si paniqué par son union ce n'était pas parce que sa compagne venait d'une meute ennemis ou de quoi que ce soit de ce genre, mais parce que cette compagne était en fait un compagnon.

Aaron en plus cela. Ce loup suave, beaucoup trop puissant et dominateur qui collectionnait les conquêtes et en changeait comme de chemises.

Génial... Pauvre Isaak.

Cependant, il avait l'air de prendre assez bien la chose.

J'eu une envie irrépressible de glousser.

C'était tellement inattendu !

- Je suis désolé, m'écriai-je enfin en levant les mains.

Le regard d'Isaak sur moi était suppliant, je le rassurai d'un sourire.

- Je ne dirais rien, mais juste...wahou !

J'étais tellement surprise que je ne trouvais plus mes mots.

Les yeux d'Isaak se portèrent étrangement sur quelque chose derrière moi. Peut-être souhaitait-il juste que je déguerpisse d'ici au plus vite.

- Je vais juste...

Je marchais à reculons pour partir rejoindre mes loups qui m'attendaient avec ces sorciers que je redoutais tant.

Cependant alors que je me retournais dans l'intention de m'enfuir le plus rapidement possible, je percutais quelqu'un dans mon mouvement.

Quelqu'un qui s'était trouvé derrière moi et dont je ne venais que maintenant de percevoir l'aura.

Je sentis déjà mon souffle se précipiter, mes poils se hérisser, mes pupilles se dilater et mon cœur s'emballer.

Il était trop proche, son aura bien trop pesante et son regard sur moi était écrasant d'intensité.

Cet aura puissante se heurta à mon esprit réfractaire. Je vis comme dans un flash, d'autres sorciers liés à d'autres auras s'en prendre à moi qui était bien plus faible.

Je me mis à trembler, pressée contre ce corps brûlant.

Mes yeux se relevèrent sur la silhouette imposante et croisèrent la plus belle paires d'yeux onyx que j'ai jamais vu.

Ma respiration se coupa et un instant j'eus l'impression que mon cœur s'était arrêté de battre.

Je connaissais trop bien ces yeux. J'avais rêvé à mon corps défendant de pouvoir les voir de si près.

Je faisais face à mon âme-sœur.


[1] Jeu de mot avec l'expression, ni d'Eve, ni d'Adam pour coller à l'univers mythologique.