Eux, 3ème et dernier volet de Lui ne pouvait pas s'achever sans passer par ici.
Tout a commencé avec FictionPress, avec vous, il est donc normal que je vous fasse ce petit cadeau.
Bonne lecture !
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La Rencontre
Chapitre 1
Lui
Je suis dans le jardin, étendu sur une chaise longue, à me délecter de ce moment de paresse. La semaine a été longue et difficile, les heures à rallonge et le stress important. J'ai voulu cette semaine tranquille, dans notre antre, dans cette maison que nous aimons tant. J'ai désiré ces heures, seul avec mon amoureux, juste lui et moi. Notre arrivée, la nuit dernière, s'est faite dans la fatigue et l'excitation de ces jours à venir.
Réveillé tôt, j'ai ressenti ce besoin de soleil et de verdure que m'apporte notre jardin. Mon Ange dort encore et, malgré mon désir de lui et de sa présence, j'ai quitté notre chambre. Je l'attends.
Mon regard fait le tour des lieux la maison, superbe, et le terrain parfaitement entretenu, avec sa piscine dans laquelle nous avons initié tant de jeux de toutes sortes. Si cela était possible, je viendrais vivre ici et Paris ne serait alors qu'un lieu de passage et d'agrément. Ce désir m'obsède j'ai envie d'une autre vie, d'une existence où les contraintes professionnelles n'occuperaient pas le centre de mon quotidien. J'ai donné quinze ans à l'entreprise familiale, je l'ai fait sans rechigner, mais je n'en peux plus de ces impératifs. Je n'ai pas perdu mon objectif, celui d'une vie calme et tranquille auprès de mon Ange. J'ai déjà tout cela, mais j'en veux davantage encore. Le temps me file entre les doigts et je le regarde m'échapper avec une peur sourde qui m'angoisse terriblement. Toutes ces heures perdues, que je pourrais passer avec celui qui vit à mes côtés et que j'aime plus que ma vie, sont devenues un poids que mes épaules n'arrivent plus à supporter. Je n'ai plus vingt-cinq ans, il n'en a plus dix-sept. Je sens le moment venu de passer à autre chose.
Les semaines se sont succédé depuis cette invitation que mon père a faite à mon Ange et nous n'y avons toujours pas répondu. Il n'en a pas envie, n'en ressent pas le besoin. J'ai dû amener la discussion sur ce sujet, même si je ne tiens pas à ce qu'ils se rencontrent absolument. Il me vient seulement à l'idée que s'ils réussissaient à s'entendre, je pourrais peut-être engager des changements dans ma vie. Nous devons nous rendre chez mes parents dimanche, nous avons toute la semaine pour nous y préparer.
Je suis sorti de mes pensées par un bruit sourd de vaisselle. Je tourne la tête vers la cuisine et l'aperçois par la fenêtre qui donne sur le jardin. Mon regard le happe et il lève les yeux vers moi. Nos yeux se soudent, nos lèvres dessinent un sourire être ensemble est ce qui fait notre bonheur. Je sais qu'il est en train de préparer son thé et que, d'ici trois minutes, il se dirigera vers moi, une tasse dans chaque main, un café chaud pour moi.
Je me lève, attrape la deuxième chaise longue et la place à mes côtés. Je fais de même avec la petite table en bois qui nous sert pour déjeuner dehors, lorsque la clémence du temps nous le permet. C'est exactement ce qu'il se passe. Il est là devant moi, seulement vêtu d'un de ses éternels boxers noirs, beau à me tirer des larmes. Comment peut-on aimer à ce point, à s'en sentir chamboulé de la tête aux pieds, à en entendre chanter son âme ? C'est incroyable, tellement incroyable, cet effet qu'il me fait depuis cette première fois, devant ce guichet de la gare de Londres, seize ans en arrière.
Il s'approche, de sa démarche nonchalante et assurée, avec ce seul but en tête me retrouver.
Son baiser sur mes lèvres et celui dans mon cou me font frissonner.
— Bien dormi, mon Cœur. ? Je ne pensais pas me réveiller seul.
— J'ai passé une bonne nuit. J'ai eu du mal à te quitter, mais j'avais besoin de sentir la vivacité de l'air. Et toi, mon Ange, ta nuit était bonne ?
— Toujours. Tiens, ton café.
— Merci.
Je le regarde prendre place près de moi et fermer les yeux. Il a déposé sa tasse et s'étire de tout son long. Son corps parfait s'offre à mon regard dans tout ce qu'il a de félin et cela suffit à tendre le mien.
— Qu'est-ce qu'on est bien ici. C'est de plus en plus difficile de rentrer sur Paris.
— C'est exactement ce à quoi je pensais.
— Hum… Je te sens différent depuis cette journée où tu m'as offert ton manuscrit et les papiers du divorce. Quelque chose te contrarie.
— C'est vrai, tu as raison.
— Tu m'en parles ?
— Si tu veux.
— Je veux.
Parler avec lui a toujours un effet salvateur sur moi. Il a cette capacité d'écoute et de recul qui me permet de rassembler mes idées et de prendre des décisions, de faire des choix et de les concrétiser. Il m'est parfaitement complémentaire.
— Je ne sais pas trop par quoi commencer… Divorcer d'Agathe a eu un fort impact sur moi. Je ne l'ai pas mesuré tout de suite. Le déclencheur a été ce moment où les papiers ont été entre tes mains. J'ai compris que c'était tirer un trait sur le passé.
— Je l'ai vécu ainsi aussi.
Je me tourne vers lui, il s'est mis sur le côté, attentif, concentré sur moi. Pas une once de lui n'est ailleurs. Comme toujours, il est là à cent pour cent. Ma main se lève et se pose sur sa joue. Je la caresse délicatement, avant de passer un doigt sur chacune de ses paupières, pour finir par redessiner ses lèvres. Son regard s'est illuminé sous l'effleurement de mes gestes amoureux. Sa main attrape mon poignet et le dirige vers ses lèvres, elles déposent sur ma peau un baiser aérien. Ce que j'ai en tête s'enracine un peu plus.
— Ce n'était pas que cela. Je crois que c'était aussi une ouverture sur une nouvelle existence. Le passé est le passé, notre présent me convient, mais je voudrais demain différent et qu'il vienne maintenant.
— Waouh ! C'est une sacrée formule que tu viens d'employer… Je t'écoute. Tu as toute mon attention et bien plus encore. Explique-moi ça.
— Le temps que nous passons ensemble ne me suffit pas, il ne m'a jamais suffi, mais c'est devenu très pesant. Je voudrais… vivre ici, quitter l'entreprise familiale, passer plus de temps avec toi. En fait, je voudrais changer totalement d'existence.
Il me scrute. Son regard, plongé profondément dans le mien, cherche à lire mon âme. Je le suis des yeux tandis qu'il quitte sa chaise, ouvre le coffre assorti à la table qui se trouve à proximité, attrape la couverture qui y est en permanence rangée et l'étale sur l'herbe. Il s'y allonge, me tend la main et m'invite à ses côtés. Je m'en saisis avec un plaisir évident. Ce qui se profile va avoir une importance capitale. Je le lis dans ses yeux, dans ce bleu gris intense, pareil à une mer houleuse. Il est avec moi, totalement avec moi, il fera tout pour moi comme je fais tout pour lui. Je m'étends à ses côtés et il me prend dans ses bras.
— Confie-moi tes envies.
— Je voudrais que nous vivions dans notre maison, que tu trouves un emploi ici et ouvrir une galerie dans la ville la plus proche. Je ne veux plus courir, je veux profiter de tous les instants avec toi, je veux que ton calme et ta sérénité deviennent les miens. Je veux une vie encore plus simple, je veux que tu sois concrètement mon centre.
Son corps se resserre contre le mien. Il est tendu, mes mots et ma proximité l'ont éveillé. Il se frotte à moi, glisse ses mains sous mon tee-shirt et me l'enlève sans empressement. L'une d'elles voyage sur mon torse et sculpte mes muscles. Sa bouche s'accapare l'un de mes mamelons et sa langue joue avec. Je gémis sous ses caresses et faufile mes doigts sous son boxer. Je les promène sur ses fesses, tout en le ramenant un peu plus vers moi. Sa bouche descend et me déloge. Elle papillonne jusqu'à mon nombril, le titille, avant de remonter et de s'égarer dans mon cou. Quand elle se pose sur ma bouche et qu'elle réclame ma langue, je sens ma passion se réveiller. Notre baiser s'enflamme et nos sous-vêtements volent dans le jardin. Nos corps s'aimantent, nos mains ne savent plus où se poser tellement elles veulent tout. Nos peaux sont si chaudes qu'elles nous brûlent, nos sexes tendus se cherchent et s'impatientent.
Sa bouche repart en exploration et lorsqu'elle se pose sur ma verge excitée, je pousse un râle de plaisir. Il m'aime sans concession, il m'aime comme seul lui sait le faire, il m'aime en me donnant tout. Il fait de mon corps un monde de sensations dans lequel il ne peut qu'exulter. Il le mène jusqu'à l'oubli le plus total, jusqu'à ce que son seul impératif ne devienne plus que lui, lui en moi, son amour juste pour moi.
Quand il me rejoint et soude de nouveau sa bouche à la mienne, je suis cambré à l'extrême, dans l'attente insoutenable de lui. Quand il se décide à entrer en moi, que son corps qui n'appartient qu'à moi m'emplit, mon cœur explose et des larmes de joie perlent à mes paupières.
— Je t'aime, je ferai tout pour toi. Il te suffit de me dire ce que tu attends de moi. Je peux faire un dossier de mutation dès demain, je peux postuler dès la rentrée pour un poste ici, je peux même m'arrêter le temps d'en trouver un. Ce n'est pas un problème pour moi. Je trouverai toujours quelque chose à faire.
Mes yeux se ferment et mes larmes coulent. Je sais tout cela, je n'en ai jamais douté. Il trouvera un nouveau poste et, en attendant, il pourra écrire. L'argent n'est pas une préoccupation pour nous, c'est une de nos libertés. Le voir ne se poser aucune question face à ce que je lui propose et y répondre dans la seconde sans hésitation me bouleverse profondément. Je savais qu'il le ferait, il est ainsi. Il m'a mis au centre de sa vie, il m'aime, il me le dit et me le montre. Il est identique à lui-même, fidèle dans ses choix, entier et sincère. Il est unique et c'est à moi qu'il offre cette unicité. Il est ma chance, ma joie, et j'en suis encore abasourdi.
J'ai été incapable de répondre, les émotions qui m'habitent sont trop intenses, et ce que réclame mon corps ne peut pas m'aider.
Ses mouvements se sont accélérés, nous sommes dans le plaisir, dans cet amour qui nous identifie comme des êtres à part, de ceux qui ont la bonne fortune d'avoir rencontré leur âme sœur. L'amour ensemble est toujours un moment hors du temps et des réalités, une osmose parfaite qui nous conforte dans ce que nous sommes l'un pour l'autre.
Je sens son corps trembler et frissonner, ses yeux se ferment et sa tête se rejette en arrière. Je connais chacun de ces gestes, je les connais par cœur. Mes mains partent en balade sur son dos, s'égarent sur son torse et descendent sur son ventre. Elles passent ses reins et s'arrêtent sur ses fesses. Je le guide un peu plus fort en moi, je nous pousse vers la jouissance. Nos gorges se sont libérées et nos râles ne sont que souffles erratiques.
Son corps se fige, ses yeux s'ouvrent et cherchent les miens. Le moment est venu. Je lui offre mon regard, brillant et affolé, il m'offre le sien avec la même loyauté. Ancrés jusque dans nos âmes, ils n'ont plus de secret, ils se révèlent toujours tout.
— Je t'aime, je t'aime comme un fou.
Notre jouissance explose, nos corps tremblent et se crispent, aucune parcelle n'est oubliée, c'est un bonheur sans pareil. Nous l'accompagnons jusqu'au bout, la prolongeons bien au-delà de cette simple convulsion, nous ne négligeons rien, pas une seule seconde. Les mondes peuvent s'écrouler, les hommes se déchirer, la nature se rebeller, dans notre univers enveloppé de sa bulle, le mal ne peut pas nous atteindre. Il est aux antipodes de ce que nous sommes ensemble.
Il s'écroule sur moi et je l'entoure de mes bras. Je me décale afin de mieux nous installer et nous garde ainsi, protégés.
— Tu vas parler à ton père ?
— L'idée mûrit, je m'y prépare.
— Je t'aiderai.
— Je sais... Cela ne te pose vraiment aucun souci de quitter Paris, ton lycée et tes élèves ?
— Non, aucun. J'y suis bien, je ne le ferai pas sans nostalgie, mais ce n'est pas une difficulté. La vie que nous menons ici me ressemble bien plus.
— Ce n'est pas faux.
— Et toi ? Tu n'as pas peur de t'ennuyer ?
— Si je réussis à ouvrir ma galerie, je serai bien assez occupé et c'est une activité qui ne peut pas se faire sans vie sociale. Elle sera juste différente.
— Et les enfants ? Tu seras moins présent pour Emma et Raphaël.
— Je ne crois pas. Nous ne sommes qu'à deux heures trente de Paris. Ils peuvent venir tous les week-ends et toutes les vacances, s'ils le souhaitent. Ils ne sont plus des bébés. Emma est une adolescente et Raphaël entre au collège à la prochaine rentrée… Non, ce n'est pas un problème.
— Très bien. Y'a plus qu'à.
Une fois encore, avec mon Ange, c'est aussi simple que cela.
Chapitre 2
Lui
C'est une semaine comme je les aime, faite de simplicité, sans précipitation, avec pour seule priorité mon Ange. Nous ne faisons que ce que l'on a envie. Je m'occupe du jardin pendant qu'il nous mitonne de bons petits plats, et nous faisons l'amour à chaque fois que l'un de nous en émet le désir, même si cette dernière assertion est tout le temps valable.
Dès le mardi, je sens ma fébrilité prendre le pouvoir. J'ai la bougeotte, je ne tiens pas en place.
— Ça va, mon Cœur ? Tu m'as l'air… sur les nerfs.
— Je ne suis pas sur les nerfs, mais j'ai besoin de bouger.
— Ah ! Tu es sûr d'être prêt pour une vie ici ? Ça ne fait que trois jours que nous sommes là et tu as déjà besoin d'aller voir ailleurs.
— Je suis sûr. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être là. Notre discussion a entériné mon envie. Je voudrais aller me balader et voir si je peux trouver un lieu susceptible de me plaire pour une galerie.
— Oh ! D'accord. Tu penses à quoi ?
— Faire un tour dans le centre-ville de Deauville et, pourquoi pas, visiter quelques agences. Tu viendrais avec moi ?
— Évidemment ! Hors de question de te laisser faire ça sans moi. Prends tes clés de voiture, on y va.
— Quel enthousiasme !
— Je t'aime et j'attends depuis longtemps que tu te décides à faire ce qui te plaît vraiment. Tu peux compter sur moi pour t'accompagner et te pousser, si nécessaire.
— Peut-on aimer plus que je ne t'aime déjà ?
— Aucune idée. À toi de me le dire.
— Chaque jour, je suis convaincu que non et il suffit d'une seconde, d'un instant, d'un mot, et mon cœur me dit l'inverse.
— C'est parfait pour moi. Allez, c'est parti.
Il nous faut moins d'une demi-heure pour nous rendre à Deauville. Une fois garés, nous gagnons le centre-ville. Il fait beau et cette impression d'être en vacances ne me quitte pas. Il nous arrive de nous tenir par la main en public, mais nous ne cédons pas à ce désir en plein jour, lors d'une simple balade. Pourtant, j'en meurs d'envie comme à chaque fois que nous faisons quelque chose d'important. Il tourne la tête vers moi, et m'observe un instant.
— Toi, tu as une idée derrière la tête. À quoi penses-tu ?
— Mais comment le sais-tu ?
— Hum… Je suis connecté, directement connecté à toi.
Il éclate de rire, de ce rire lumineux, de cette joie qui s'exprime librement et qui subjugue tous ceux qui en sont les témoins et qui, moi, me bouleverse et m'émeut. Il n'est jamais aussi beau que dans la légèreté et le bonheur.
— Je me disais juste que j'avais envie de te tenir la main.
— Pourquoi ne le fais-tu pas ? Tu sais bien que pour moi, ce n'est pas un problème.
— Je le sais, mais nous aimons aussi notre discrétion.
— Pas au point de nous frustrer. Onze ans que l'on vit ensemble, dix-sept que l'on se connaît, et l'acceptation de tous nos proches. Tu peux bien me tenir la main, si le cœur t'en dit.
La simplicité faite art et une juste concentration sur l'essentiel sont des éléments qu'il a apportés dans ma vie. Sa bulle le suit partout et elle nous entoure dès que c'est nécessaire. Son manque de considération pour les regards extérieurs, pour ce que l'on peut penser de lui, de nous, m'ont permis d'être moi-même et de me révéler. Il est ma force, il l'a toujours été.
Sa main se tend vers moi et ses yeux plongent dans les miens. Il me sourit d'un sourire espiègle et un peu provoquant.
— C'est comme tu veux, mon Cœur, mais si tu réussis à faire abstraction de notre environnement, ma main est à toi. Elle adore la tienne.
Je lui rends son sourire et je me fais rebelle, un timide rebelle, mais tout de même. J'attrape sa main et l'enlace. Il pousse ma rébellion un peu plus loin, en portant nos mains à ses lèvres et en apposant un baiser sur le dessus de la mienne. Il est ma tendresse.
Nous déambulons dans les rues, sans destination précise. Je suis à la recherche d'une devanture, d'un commerce estampillé d'un panneau « à vendre ». Il y en a peu, la ville semble florissante. Je repère aussi les galeries déjà existantes. C'est une ville touristique, il y en a donc quelques-unes. Si mes projets se mettent en place, j'ai bien l'intention de toutes les visiter avec sérieux. Je ne souhaite marcher sur les plates-bandes de personne, je veux seulement réaliser mon rêve et le faire sereinement.
Les temps sont difficiles et il y a bien des boutiques vides, mais rien qui ne vienne véritablement caresser mon regard. Je n'ai pas d'idée précise, si ce n'est que je souhaite un endroit lumineux.
— Rien ne t'attire ?
— Non et il n'y a pas grand-chose.
— C'est une bonne nouvelle. C'est que la ville va bien et qu'elle est un bon choix.
— Tu as raison. On s'arrête prendre un verre quelque part ?
— Si tu veux. Je grignoterais bien un truc aussi.
Ma tendresse est infinie et mes espoirs énormes. Il a dormi plus de huit heures cette nuit, il a pris l'air, il va se délecter d'une bonne pâtisserie et, si nous ne tardons pas trop à rentrer, après, il aura envie de faire l'amour. J'éclate de rire et c'est plus fort que moi, je lui plante un baiser sur les lèvres. Je l'aime tellement.
— Allons au salon de thé près du port. Tu pourras te régaler d'une bonne tarte aux pommes. Tu pourras même en prendre deux, si tu veux.
— Toi, tu as encore une idée derrière la tête.
Son amusement est dans sa voix, elle est emplie de la même tendresse que celle que j'ai pour lui.
— J'en ai une, mais je dois avouer qu'elle est souvent présente. Je ne vois pas comment tu as pu t'en apercevoir.
— Tu n'as pas vu ton regard. Il est dévorant. Et l'intonation de ta voix, très gourmande. Tu as intérêt à te tenir correctement.
— Han han… J'aime te voir rougir, un peu, de temps en temps. Cela me rappelle des souvenirs, ton visage que tu cachais dans mon cou, ce signe que ce que tu t'apprêtais à me dire était gênant pour toi ou que tu étais intimidé. Tu étais si jeune.
— Tu l'étais aussi, tout du moins pour faire face à ce que l'on t'imposait… Me faire rougir, je ne sais pas si je le pourrais encore avec toi.
— Tu veux essayer ?
Sa main se resserre autour de la mienne et il m'attire à lui. Sa bouche se pose sur mes lèvres et me goûte. Il prend son temps et son sourire effleure la finesse de ma peau. Il est devenu si sûr de lui, si confiant. Sa liberté est magnifique, enviable, et il la partage avec moi.
— N'oublie pas que je ne suis plus un gamin. Je suis prêt à relever tous tes défis.
Je fais taire ce reste d'éducation qui sourde en moi et qui me maintient toujours juste avant, à la limite de ces barrières que j'ai su dépasser, mais qui continuent d'exister, et je lui rends son baiser. Il m'a appris à ne plus regarder autour de moi lorsque je cède à ce genre de désir. S'il les ignore naturellement, ce n'est pas mon cas. Je dois prendre sur moi. Au fil des années, c'est devenu plus facile. Je suis si heureux dans ces moments-là, si fier d'être à ses côtés et que cela se sache, mais aussi de moi et de cette liberté que j'ai acquise non sans lutter.
Les visages rayonnants, nous prenons le chemin du port. C'est un endroit plaisant où j'apprécie de me promener. Les bateaux, le large, la brise qui souffle doucement et fait voleter nos cheveux, tout cela m'est agréable.
Nous optons pour la terrasse, un de nos choix habituels lorsque le temps le permet. Notre discussion est essentiellement basée sur mon projet. Il le partage avec moi, sans hésitation aucune. Devant notre tasse de thé et notre part de gâteau, nous sommes si bien que je voudrais voir le temps s'arrêter.
Mes yeux font le tour de ce qui nous entoure, ils se repaissent de la vue, de la mouvance tranquille des promeneurs et… mon regard se fige. À une centaine de mètres, sur la gauche du port, une petite bâtisse avec tout un pan vitré m'attire irrésistiblement. Elle n'a rien d'extraordinaire, si ce n'est que je n'arrive pas à m'en détacher. Mon Ange a capté la tension qui s'est emparée de moi et se tourne vers l'endroit qui a captivé mon attention. Son regard fait quelques allers-retours entre nous deux.
Il avale la dernière bouchée de sa tarte, vide sa tasse et se lève.
— Je vais payer, je reviens.
Je me lève à mon tour, tout est devenu silencieux autour de moi. J'ai caressé l'idée, à une époque, de créer ma galerie au rez-de-chaussée de notre immeuble, à Paris. C'est la raison pour laquelle, au bout du compte, je n'ai pas voulu l'investir comme il l'avait été prévu au tout début de notre installation. Ma vie professionnelle m'ayant rattrapé, j'ai laissé filer l'idée. Ce que j'ai sous les yeux réveille un peu plus mon désir, j'ai la sensation de le toucher du doigt.
C'est sa main reprenant la mienne qui me ramène dans le monde réel. Sans un mot, il me guide vers cet attrait irrésistible. Une fois devant, nous en faisons le tour. C'est une échoppe indépendante, elle a dû être un lieu rattaché au port dans lequel on y donnait des informations et où l'on y vendait des balades en bateaux. Elle est vide. À travers la vitre, nous pouvons apercevoir une grande pièce estampillée d'un comptoir en son milieu. Il doit y en avoir une autre à l'arrière, la bâtisse est d'une surface plus grande que ce que nous avons sous les yeux. Aucun renseignement n'est affiché.
— C'est vide. Reste à savoir si l'acheter est du domaine du possible.
— Tu vas bien vite en besogne, mon Ange.
— Tu as eu le coup de foudre, comme pour la maison. Pourquoi se compliquer la vie ? Tu as un instinct sûr, tu n'as qu'à l'écouter.
— Je te rappelle que j'ai toujours un travail et que le quitter ne va pas être facile, ce qui est un euphémisme.
— Qu'importe ! Peux-tu te l'acheter sans que ça n'ait de conséquence sur ton compte en banque ?
— Tu sais bien que oui. C'est un détail.
— Alors, où est le problème ? Une fois que ce sera à toi, tu en feras ce que tu veux en temps voulu. Le temps de résoudre ton souci de travail, tu prendras celui de l'acquérir, de peaufiner ton projet et de l'aménager comme tu l'entends. Ça te laisse bien une année devant toi, si tu décides de faire les choses correctement.
— Tu as raison.
Une fois de plus, il trouve les mots et l'attitude adéquate pour me pousser à me réaliser, à faire ce dont j'ai envie. Il balaie mes doutes d'un revers de main et m'oblige à révéler ce potentiel qui brûle en moi.
— Il n'y a aucune indication nous donnant à penser que c'est à vendre, rien qui nous permette de savoir à qui nous adresser.
Je prends le temps de réfléchir quelques secondes.
— Allons à l'agence immobilière la plus proche du port. Elle pourra peut-être nous renseigner. Sinon, nous irons discuter avec les pêcheurs et les plaisanciers. Ils doivent savoir ce qu'il en est.
— Je te suis.
Notre visite à l'agence nous apporte quelques éléments intéressants. La construction appartient à une compagnie maritime et elle est vide depuis plus d'un an. Elle n'a apparemment pas jugé utile de la mettre sur le marché. Selon l'agent immobilier, c'est plus par négligence et désintérêt qu'autre chose. C'est naturellement, je m'y attendais, qu'il me propose de se renseigner et de faire le nécessaire le cas échéant. Je n'y vois pas d'inconvénient, bien au contraire. Les pourparlers et les négociations viendront après et je m'en chargerai avec plaisir. En attendant, ces préambules quelque peu fastidieux sont une dépense d'énergie en moins pour moi.
Lorsque nous ressortons de là, je me sens léger et euphorique. Mon impatience va être mise à rude épreuve.
— Tu m'as l'air content.
— Je le suis. Je commence à y croire.
— Très bien, c'est une excellente nouvelle. Et si nous rentrions ?
— Tu ne veux pas dîner en ville ? Nous pourrions aller au cinéma avant.
— Tu as envie de sortir ?
— Je crois bien que oui.
La soirée que nous passons est de celles qui nous ramènent toujours en arrière. Nous vivons dans le présent, sans aucun doute, mais tous les bons moments qui constituent notre histoire sont toujours omniprésents. Nous les préservons avec attention, nous les aimons tous les deux. Nous avons élaboré de nombreux rituels et nos séances de cinéma en font partie. Se tenir la main pour s'y rendre, me caler confortablement dans le fauteuil afin qu'il puisse poser sa tête sur mon épaule, mes doigts qui caressent sa peau fine entre le pouce et l'index, tout cela fait partie d'une soirée cinéma. Sans eux, nous ne serions que deux étrangers devant un film.
Pour le dîner, nous optons pour un restaurant simple, nos tenues décontractées ne nous permettent pas d'en vouloir plus, ce qui n'a aucune importance être ensemble est tout ce qui nous importe. Son choix de discussion me laisse pantois.
— Je crois que je vais faire mon dossier de mutation. C'est pile la bonne période.
— Mais c'est trop tôt ! Nous ne savons absolument pas ce que cela va donner.
— Qu'importe. Ça m'étonnerait que je l'aie dès la première année. S'il n'y a pas de poste, je garderai mon emploi sur Paris. Je peux commencer à faire des démarches sur le lycée le plus proche et me faire connaître. Les vacances ne sont pas les mêmes que les nôtres. Ils peuvent avoir parfois besoin d'un prof pour des cours de remplacement, de soutien ou des oraux blancs. Ce serait des opportunités et, si un poste se libère, ils penseront à moi.
— Si tu en obtiens un dès la rentrée, nous serons séparés la semaine.
— Pas forcément. Je pourrais faire valoir mon éloignement et demander un aménagement d'emploi du temps qui ne me tiendrait loin d'ici que deux ou trois jours.
Mon étonnement n'est pas feint. Mon Ange enseigne principalement dans des classes préparatoires. Je sais que ce n'est pas le prestige qui l'intéresse, mais il aime cela. C'est un investissement qui l'oblige à travailler ses cours, à les reprendre et à en élaborer d'autres. Il a besoin de cette effervescence intellectuelle.
— Tu pourrais, sans regret, ne plus enseigner en prépa ?
— Je le pourrais, et rien ne m'empêche d'aller voir ailleurs. Il doit bien en exister dans la région. Et puis, il y a la fac aussi. J'aimais tout autant les premières, tu sais.
— Je sais, mais ça mobilise moins tes besoins intellectuels.
— Je n'ai pas besoin de mes cours pour nourrir mon intellect. Je peux trouver sans problème d'autres moyens. Ne t'inquiète pas de ça, voyons.
— Tu m'étonnes tout de même. Je ne m'attendais pas à une telle réaction.
Son regard se fait terriblement sérieux. Aucun doute, nous allons vivre un moment de grande vérité, de ceux qu'il veut sincères et sans ambigüité, avec le risque de me retrouver complètement bouleversé.
— Ton désir de vivre ici est aussi le mien. Cette maison est la nôtre, rien que la nôtre. Nous l'avons choisie et achetée ensemble. Elle est ouverte à tes enfants qui y ont leur place, à nos familles, nos amis, mais elle est à nous. L'appartement a été à toi et maintenant il est à moi, même s'il est aussi chez nous. Je l'aime infiniment et je ne m'en séparerai jamais. Mais ici… Je t'aime intensément, tout le temps, mais ici tu es différent. Tu es libre, apaisé, heureux, et ça comble en moi cette absolue nécessité que tu le sois. Ici, notre amour se vit sans frein, il resplendit parce que nous sommes totalement nous-mêmes.
— Tu es toujours toi-même.
— Oui, mais pas toi. Tu t'imposes trop de contraintes qui n'ont plus lieu d'être dès que nous gagnons la Normandie.
Ma main retrouve son antre, son plaisir le plus absolu, elle se pose sur sa joue avec une douceur ineffable. Je peux l'aimer encore plus, je peux lui donner bien plus. Je n'ai aucune limite en ce qui le concerne. Nos yeux brillent d'un amour infini.
— Reste le problème de mon père et ce n'est pas rien.
— Ton père ? Nous nous en chargerons ensemble. Il pestera, il hurlera peut-être, il me détestera de nouveau, s'il veut, mais il pliera. Tu veux savoir pourquoi ?
— Je suis plus que curieux.
— Tu as prouvé que tu pouvais lui tenir tête et remporter la victoire. Ensemble, nous sommes plus forts que lui et jamais je ne laisserai qui que ce soit t'empêcher de mener la vie qui te convient. Il m'a ignoré pendant des années, il t'a fait souffrir. Il aurait tort de croire que parce qu'il m'a tendu la main et ouvert sa porte, il m'a mis dans sa poche. Ce serait une erreur monumentale. Je ne suis pas un pantin, pour personne. Si tu as décidé de t'affranchir de ton travail, si c'est vraiment ce que tu veux, tu auras à trouver les arguments et les compromis qui pourront le satisfaire et te satisfaire. Je ne crois pas que tu veuilles totalement te retirer des affaires familiales et tu devras te montrer ferme comme tu sais si bien le faire. Et moi, je serai là, à tes côtés, je ne lui céderai rien. Il ne me fait pas peur, il n'est rien à côté de ton bonheur. En ce qui me concerne, je n'ai pas besoin de quoi que ce soit venant de lui.
Mes yeux se sont écarquillés. C'est un long discours pour mon Ange. Ils sont rares, mais toujours aussi percutants.
— Euh, tu sais que tu parles de mon père ?
— Je le sais. Je ferai ce qu'il faut pour ne pas interférer dans votre entente, n'en doute pas. C'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle je veux bien le rencontrer. Mais si ton souhait, tout comme le sien, est toujours de me faire entrer dans votre famille, il n'est pas dans mes intentions d'être une plante verte. J'appliquerai les civilités, je ne me ferai pas remarquer, tu connais ma discrétion, mais si tu entres dans la bataille pour réussir à changer ta vie professionnelle…
Ses convictions et ses affirmations ne sont pas un leurre. Une fois énoncées, elles deviennent vérité. Il ne reculera devant rien et il les mettra en action, comme toujours.
— Je crois que j'ai compris.
— Très bien. Tu as jusqu'à dimanche pour réfléchir, après…
— J'ai compris, mon Ange.
— Parfait. Tu sais quoi ?
— Non. Dis-moi.
— Je ne vais pas prendre de dessert et tu ne vas pas prendre de café. Cette discussion m'a échauffé et j'ai besoin de libérer toute cette énergie qui me brûle.
J'éclate de rire. Son sourire est coquin, son regard brille de mille feux et je m'embrase. Je me lève et m'empresse d'aller payer. À mon retour, il est déjà à la porte. Main dans la main, nous courons jusqu'à la voiture. Nos rires nous suivent, nous sommes deux gamins facétieux que nos hormones titillent.
Il m'emmène dans sa joie, dans cette insouciance que nous avons peu connue et je me laisse entraîner le cœur au bord des lèvres.
Chapitre 3
Lui
Les jours qui suivent, nous quittons peu la maison, si ce n'est pour quelques heures à la plage. Mon Ange lit et se prélasse, innove dans la cuisine et passe tout son temps en boxer à m'exhiber son corps. Quant à moi, je réfléchis plus concrètement à mon projet et le pose sur le papier. J'établis une liste de toutes les choses à faire, à penser, à creuser. J'élabore un plan précis, je me projette complètement.
Le vendredi soir, nous allons chercher les enfants à la gare. Ils ont émis le souhait de venir nous rejoindre et c'est avec plaisir que nous les écoutons égayer la maison. Le samedi, c'est un nouvel après-midi que nous passons au bord de la mer, en famille. Il est égrené de jeux, de rires et de farniente. Dans la soirée, le fatras étalé sur le bureau les rend curieux et je me retrouve à leur exposer ce qui m'occupe l'esprit. Leur enthousiasme et leur écoute me font un bien fou. J'ai des enfants formidables qui me comblent à tous les niveaux. Ils se joignent à mon Amour pour se souder autour de moi.
Après dîner, c'est naturellement qu'Emma se retrouve avec mon Ange pour parler de livres et de ses cours d'arts plastiques. Ils sont très proches tous les deux et s'entendent à merveille. Elle est sa princesse et il est un soutien permanent pour elle. Il sait toujours quoi lui dire, comment l'encourager et la rassurer.
Raphaël a des tas de questions à me poser sur la future galerie. Il s'intéresse aux aspects techniques avec ce même sérieux qu'il manifeste lorsqu'il parle de l'entreprise et de notre patrimoine familial avec mon père. Son intérêt me fascine à chaque fois. Pour un enfant de onze ans, il est étonnant. Si mon père s'y prend bien, il pourra compter sur un allié de taille dans les années à venir. Je n'y verrai aucun inconvénient, si c'est ce que mon fils veut et qu'il ne lui coupe pas les ailes.
Ce n'est que vers vingt-trois heures, à l'heure où les yeux commencent à papillonner de fatigue, que les places se modifient. Raphaël rejoint mon Ange sur le canapé et se cale dans ses bras. Depuis qu'il est bébé, depuis cette première fois où ils se sont retrouvés face à face, c'est dans son antre qu'il a toujours recherché le calme de l'endormissement. Il ne lui faut pas dix minutes pour céder au sommeil. Je les regarde, attendri comme à chaque fois, tandis qu'Emma s'est lovée contre moi.
Mon Ange le garde contre lui, le temps d'être sûr qu'il dort profondément, avant de l'emmener dans son lit et de l'y coucher. Quand il nous retrouve sur le canapé, Emma lui offre un joli câlin avant de poser sa tête sur mon épaule et de m'enlacer. Elle aime nous avoir tous les deux près d'elle. Sa sensibilité se nourrit de l'amour qui nous enveloppe et de nos différences. Elle y trouve l'équilibre qui lui est nécessaire pour se sentir bien et en confiance. Les difficultés qu'elle a rencontrées au collège, à cause de notre couple, ont réveillé son esprit batailleur et ont affirmé sa loyauté envers nous. Nous voir ensemble, heureux, l'entourant de notre affection, a le pouvoir de la rassurer. Elle est à un âge où les questions sont nombreuses. Elle n'en a pourtant que très peu en ce qui nous concerne, tout comme son frère. Pour elle, le plus important est que ce que nous lui avons affirmé alors qu'elle n'avait que trois ans – nous sommes des amoureux – reste vrai.
Quinze minutes plus tard, son sourire rayonnant nous informe qu'elle a eu sa dose d'amour et qu'elle est prête à aller se coucher, ce qu'elle fait après un échange de bisous.
— Pas à dire, tu as des enfants formidables.
— Je suis bien d'accord. L'adolescence qui pointe le bout de son nez chez Emma n'a pas l'air de la perturber. J'espère que ça va durer.
— Pourquoi non ? Elle a des passions qui l'occupent et elle est bien entourée.
— Les choses peuvent changer, il suffit d'un rien à cet âge.
— C'est vrai, mais pourquoi s'en inquiéter sans raison ?
— Mieux vaut être vigilant et s'en rendre compte rapidement, au cas où.
— Tu as raison, bien sûr, mais elle va bien et elle sait qu'elle peut compter sur nous.
— Oh ! Tu es un atout essentiel. Je pense qu'elle ira toujours vers toi, quels que soient ses doutes et ses difficultés.
J'en suis convaincu. Ce qu'elle ne pourrait me confier parce que je suis son père, elle le ferait avec mon Ange. Il a sa totale confiance.
D'un mouvement leste, mais doux, je me glisse sur ses genoux. Lorsque mes inquiétudes tournent autour de mes enfants, c'est dans ses bras que je trouve l'apaisement. Il devient celui qui réconforte et qui porte, il devient l'aîné.
Une de ses mains caresse mes cheveux, tandis que l'autre se promène dans mon dos. Je me love un peu plus dans ses bras, à la recherche de sa chaleur. Je me contorsionne et pose ma tête sur son cœur. J'en écoute les battements calmes et je ferme les yeux. M'assoupir ainsi, avec cette musique dans les oreilles, est une des choses que j'adore.
— Nous devrions gagner le lit. Si tu t'endors, je ne pourrai pas te porter et tu vas te retrouver à dormir seul sur le canapé.
C'est d'une voix engourdie par le sommeil que je lui réponds.
— Tu ne le ferais pas, tu ne m'abandonnerais pas, seul sur le canapé.
— Je crois bien que si. Passer la nuit dans un lit est ce que je préfère et si tu es bien installé, ce n'est pas tout à fait mon cas.
— Je croyais qu'être près de moi suffisait à ton bonheur ?
— Ça lui suffit, ce qui ne signifie pas pour autant que je dois accepter de dormir n'importe comment. Allez, debout. Il n'y a que dix mètres à faire.
— Tu n'es pas drôle !
— Je te l'accorde, à la condition que tu te lèves.
Sans plus rechigner, je me redresse et lui tends la main. Je me serais bien laissé aller à rester là, mais je ne suis pas vraiment fatigué. Je me suis reposé toute la semaine et je suis en pleine forme.
— Tu n'as pas envie de dormir, toi ?
— J'ai toujours plaisir à dormir, mais si ce que tu me demandes, c'est si je suis fatigué, alors non je ne le suis pas.
Une fois dans la chambre, je me déshabille et saute dans le lit. Cinq secondes plus tard, il est près de moi. Je le regarde et lui pose la question qui hante mon esprit.
— Tu n'es pas inquiet pour demain ?
— Non. Le bal de juin a eu lieu depuis un moment maintenant, je me suis remis de mon étonnement. J'ai détesté cette Miranda et ce monde ne m'a jamais attiré. C'est devenu pire. Ton père est intelligent et je pense qu'il l'a compris. Il m'a invité pour tes enfants, peut-être pour toi aussi, mais surtout pour Emma et Raphaël. Il a fait un choix et il l'assumera.
— Ton discours a changé depuis le début de la semaine.
— Non, il n'a pas changé. Si ça en reste là, nous nous entendrons.
— Hum… je vois. Et si ça n'en reste pas là ?
— Eh bien, il te faudra prendre des forces.
— Des forces ?
Sa main, volontaire, directe, se pose sur mon sexe au repos et le caresse jusqu'à ce qu'il réagisse et que je me tortille contre elle avec un soupir d'aise.
— Oui, des forces.
Sa bouche emprisonne la mienne, sa langue ne me fait aucune concession et son désir s'empare de moi. Nos corps se tendent, nos mains s'en accaparent et notre envie l'un de l'autre, jamais éteinte, fait le reste. Il s'offre à moi avec passion, dans cette entièreté totale et libre qui le rend unique. Quand le plaisir nous saisit et que nos souffles erratiques ont du mal à se calmer, il me montre à quel point il n'est pas fatigué. Il reprend tout depuis le début, avec une douceur à l'exact opposé de ce qui a précédé et il me fait l'amour avec une tendresse affolante. Mon corps s'en bouleverse, mon cœur s'en émeut et mon âme s'en apaise.
Epuisé, je me cale contre lui et, une jambe sur les siennes, pose ma tête pile à l'endroit que je voulais pour m'endormir.
— Si ce sont des forces que tu voulais me donner, c'est raté.
— Pour l'instant, mais demain, tu en ressentiras les effets.
— Si tu le dis, on verra bien. Quoi qu'il en soit, je n'aurai aucun regret.
— Tu m'en vois ravi.
Je ferme les yeux, bien, tellement bien, et me laisse emporter… quelques secondes. Je suis délogé par un mouvement brusque qui ne peut que me faire râler.
— ZUT ! On a oublié un truc important.
— À part dormir, je ne vois pas ce qui pourrait l'être.
— Emma et Raphaël !
— Quoi, Emma et Raphaël ?
— Redescends sur terre, mon Cœur. Ils vont atterrir dans notre lit dès qu'ils auront ouvert un œil.
— Ah ! Ils ne sont pas devenus un peu trop grands pour cette habitude ?
— Peut-être, je n'en sais rien. Ce qui est sûr, c'est que ça ne change rien. Allez, lève-toi !
— Mais pourquoi ?
— Peux-tu, s'il te plaît, reconnecter tes neurones et m'aider un peu ! Il faut que l'on se douche, que l'on enfile nos pyjamas et que l'on change les draps.
— Tu plaisantes ! Les pyjamas suffiront amplement !
Son rire éclate dans la chambre et je me retrouve, une fois de plus, à l'admirer. Son énergie est débordante, les rôles sont inversés. Mon petit ours qui aime tant dormir et qui est presque toujours le premier couché semble vouloir m'étonner. C'est le genre de considérations que je suis le plus accoutumé à prendre en compte et à penser.
— Hors de question ! Viens, je m'occupe de tout, mais viens.
— Qu'est-ce qu'il te prend ? Tu es bizarre, très bizarre.
— Je n'en sais rien. Je crois que je suis heureux et ça déborde.
Amusé, je me lève et prends son visage entre mes paumes, pour un baiser des plus amoureux.
— Le bonheur te va à merveille, tu es magnifique. Allons-y, puisque c'est ce que tu veux.
Une fois dans la salle de bains, nous nous contentons d'une douche rapide pendant laquelle chacun lave l'autre. Une fois sortis, nous enfilons nos fameux pyjamas auxquels nous nous sommes si bien habitués. Tous nos séjours à Londres se soldent par un retour avec des pyjamas neufs. Mon Ange ne les achète plus que dans cette ville et c'est lui qui les choisit, toujours. Je n'ai pas mon mot à dire. C'est sa manière de faire de cette période si douloureuse, que nous avons vécue quelques années plus tôt, un souvenir qu'il peut garder sans peine. La déchirure qu'il a vécue à cause de moi, ce comportement que je l'ai obligé à adopter pour me faire réagir, n'a pas été facile à gérer pour lui. Blesser l'autre, même involontairement, est toujours un bleu à l'âme pour celui qui meurtrit. Il a fait ce qu'il fallait faire, ce qui ne change rien. Nous nous sommes fait du mal, même si c'était de ma faute et uniquement de ma faute. Nos pyjamas sont la preuve de nos blessures cicatrisées.
De retour dans la chambre, c'est ensemble que nous changeons les draps et avec un soupir commun de pur plaisir que nous nous recouchons. Le bien-être que je ressens vaut ces derniers efforts consentis. Comme si la dernière demi-heure n'avait pas existé, je me blottis contre lui, repose ma jambe sur les siennes et la tête sur son cœur. Qu'il est facile d'être heureux quand il est près de moi.
Comme il l'a anticipé, Raphaël est le premier à débarquer. Sans aucune hésitation ou questionnement, il se glisse sous les draps et se colle à mon Ange. Nous bougeons un peu pour lui faire de la place, sans même ouvrir les yeux. Quand Emma fait son apparition, c'est entre nous deux qu'elle s'installe et, de nouveau, nous nous déplaçons pour que chacun trouve son aise. C'est ainsi que nous nous rendormons, pour ne nous réveiller qu'en fin de matinée, à l'heure du déjeuner.
C'est sans nous consulter que nous atterrissons tous dans la cuisine, pour improviser un pique-nique que nous dégustons confortablement installés sur une couverture, dans le jardin. Ce sont des moments uniques, faits de connivence et d'entente parfaite. Ils me sont si précieux. Ils me montrent le chemin parcouru, ce que mes efforts et mes combats ont eu de juste. Ils remettent à leur place toutes les douleurs vécues pour que nous soyons ensemble, réunis, vivants. Je n'ai pas oublié que j'aurais pu mourir sans la naissance de mes enfants, je n'ai pas non plus oublié qu'ils ont donné du sens à mes choix et mes décisions. Je n'ai plus aucun regret depuis longtemps et mes remords ont disparu dans le pardon que mon Ange a su m'offrir avec tant de simplicité. La vie que je mène, je n'aurais pas osé la rêver.
Ce que j'ai sous les yeux a le don de gommer toutes les inquiétudes que l'après-midi à venir a tendance à faire naître en moi. Je retrouve cette hargne qui m'a habité lorsque je me suis rendu chez mes parents, pour informer mon père de ce qu'était mon mariage et de l'amour que je portais à un homme. Ma détermination sans faille, portée par l'amour de mon Ange, m'avait fait remporter une victoire éclatante face à lui. J'y avais gagné ma liberté.
Je me sens de nouveau capable de tout. Et une baignade me plairait assez.
— Et si nous allions faire un plongeon dans la piscine ?
— Tu es sûr ? À quelle heure doit-on être chez tes parents ?
— Pour le thé. Nous avons une petite heure devant nous.
Je n'ai pas fini ma phrase que les gamins sont déjà dans l'eau à pousser des cris pas possibles. Ils n'ont même pas pris le temps d'ôter leur pyjama. Mon Ange et moi, nous nous regardons effarés avant qu'il ne me fasse un clin d'œil provoquant.
— Chiche ?
— Chiche de quoi ?
— De démontrer que nous ne sommes pas deux petits vieux pantouflards, à qui il ne manque que les charentaises.
— Tu veux dire…
— OUIIIIIIIIIIII !
Et il part en courant, et il plonge dans l'eau, en hurlant un cri victorieux. Les yeux ronds, je le regarde jaillir hors de l'eau tandis que mes enfants lui sautent dessus. Lentement, je me lève à mon tour et rejoins le bord de la piscine. Les tissus sont étirés dans tous les sens et se colle à leur peau au moindre mouvement. Je les regarde et mon cœur déborde. Je les regarde et leur joie se fait mienne. Je les regarde et… je saute dans l'eau.
Nous nous amusons comme des fous, quatre gamins turbulents et insouciants, quatre cœurs unis et rayonnants. Quand nous nous décidons à sortir, nous nous mirons les uns les autres. Le fou rire qui nous saisit nous plie en deux et nous nous écroulons sur l'herbe. Il nous faut plusieurs minutes pour nous calmer, ce sont les frissons de nos corps qui nous y obligent.
Nous laissons les salles de bains aux enfants, afin d'éviter qu'ils ne prennent froid, et nous hâtons de retirer nos vêtements trempés. Une fois sec, j'attire mon Ange à moi et soude mon regard au sien. Il est ma vie, mon bonheur et ma joie, et je veux qu'il le sache, qu'il n'ait jamais aucun moyen d'en douter. Son propre regard me dit qu'il a compris et me renvoie le même écho.
— Je t'aime à en mourir.
— Pareil.
Notre baiser est lumière, ineffable et intense. Il lève tous les voiles et se fait mélodie. Il enchante nos âmes et les relie dans un moment d'éternité.
Ce sont les rires des enfants qui nous séparent, une musique plus rythmée, mais tout aussi délectable. Les mots n'ont pas toujours leur place. À cet instant, ils sont devenus inutiles.
Chapitre 4
Lui
Lorsque nous prenons la route pour regagner la région parisienne et la demeure familiale, notre gaieté ne nous a pas abandonnés. Emma et Raphaël s'occupent de la musique, toute discussion est vaine.
Quelques minutes avant seize heures, nous franchissons le portail électrique de la propriété de mes parents et remontons l'allée gravillonnée jusqu'à la maison, devant laquelle je me gare. Les enfants sortent et se dirigent droit vers le perron. C'est avec beaucoup plus de calme que nous quittons la voiture.
Le regard de mon Ange se fait observateur, alors qu'il tourne sur lui-même et scanne les alentours.
— Rassure-moi, ce n'est pas ton père qui tond la pelouse le week-end ?
Amusé, je suis son regard sur l'étendue qui s'offre à nous.
— Rassure-moi, ce n'est pas une vraie question ?
— Ça n'en était pas une. La… maison est très belle.
— Tu peux dire « petit château », si tu veux. Ce ne serait pas totalement faux.
— Je vais garder le terme « maison », c'est plus… rassurant.
— Tu es inquiet ?
— Non, mais c'est tout de même impressionnant.
— Je te l'accorde… On y va ?
— Oui, ne faisons pas plus durer. Je crois que ta mère nous attend.
De fait, ma mère nous regarde et patiente en haut du perron. Elle est superbe, comme à son habitude, vêtue avec élégance. Elle est avenante et arbore un visage souriant et accueillant. Nous avons nous-mêmes fait un effort de mise.
Je couvre la distance qui nous sépare, mon Ange sur les talons.
— Bonjour, Mère. Comment allez-vous ?
— Je vais bien. Et toi ?
— Bien aussi.
Son regard se porte sur l'homme qui partage ma vie. Elle a appris à le connaître, elle a de l'affection et du respect pour lui. Son sourire est toujours là.
— Bienvenue chez nous. Entrez. Nous nous sommes installés dans le salon. Les enfants y sont déjà.
Côte à côte, nous la suivons. Mon Ange a le regard qui papillonne, mais il le fait avec discrétion. Je ne sais pas ce qu'il pense, même si je me doute que ce qu'il observe ne modifiera pas ses avis. Par contre, il sait apprécier les belles choses et il y a largement de quoi faire ici.
Dès que nous pénétrons dans le salon, mon père, qui est assis dans un des fauteuils et qui discute avec les enfants, se lève et se tourne vers nous. Nous nous saluons poliment. Les règles restent importantes. Puis, mon père se tourne vers mon compagnon.
— Vous vous êtes enfin décidé à répondre à mon invitation ?
— Je me suis enfin décidé, ou plutôt, c'est votre fils qui m'a décidé.
La lueur qui s'allume dans le regard de mon père ressemble à du respect. Il aime impressionner et montrer son pouvoir, mais il respecte ceux qui ne s'y laissent pas prendre. Quant à mon Ange, je ne me fais aucun souci. Il m'a clairement signifié qu'il ne lui faisait pas peur, il est égal à lui-même, avec ce soupçon de provocation qui peut l'habiter parfois. Si mon père veut la bataille, alors il est prêt. L'intelligence de mon compagnon n'a rien à envier à la sienne, mais elle est plus fine, plus sensible. Si mon père cherche un adversaire à sa hauteur, il en a un en face de lui. Ce qu'il ne sait pas, c'est que mon Amour ne rentre jamais dans des considérations qui ne l'intéressent pas. Ce qui ne lui semblera pas essentiel, il l'ignorera et mon père devra faire avec. Par contre, si cela lui tient à cœur, sa concentration sera totale et son adversaire devra faire preuve de la même capacité. Pour l'heure, nous avons tous le même objectif, installer une entente entre nous
Ma confiance, affermie par les dernières heures que nous avons passées tous ensemble, ne s'est pas évaporée. Je n'ai pas l'intention de parler de mon projet aujourd'hui, pas lors de cette première vraie rencontre. Je préfère le faire seul à seul avec mon père. Mon plan n'est pas tout à fait élaboré, il a besoin d'être peaufiné.
— Asseyez-vous où vous voulez, je vais faire servir notre collation. Un thé vous convient ou préférez-vous autre chose ?
— Un thé me convient très bien.
Les enfants suivent de loin la conversation, ils se font discrets. Ils savent que c'est un moment important et que les heures à venir seront déterminantes. Ils sont tout autant conscients d'être des éléments essentiels dans la décision de leur grand-père à le recevoir ici.
Je choisis de prendre place dans le canapé où mon Ange me rejoint. Trente secondes plus tard, Emma et Raphaël sont installés à nos pieds. Ils font bloc, ils ont choisi leur camp. Mon père le comprend dans la seconde et je vois dans son regard qu'il est impressionné par leur loyauté.
— Alors, les enfants, ce week-end a été à votre convenance ?
C'est Emma qui répond.
— Oh oui, papy ! Toujours. Nous adorons aller là-bas. Nous nous sommes bien amusés.
— Quelles ont été vos occupations ?
— La plage et du temps avec Papa et Dadou.
— Ah ! Très bien.
— Tu as oublié la piscine, Emma.
— Euh… pas vraiment, en fait.
Je sens le corps de mon Ange trembler, je me tourne vers lui. Ses yeux brillent de manière suspecte, il est au bord du fou-rire et il le retient tant bien que mal. Mes parents le regardent sans comprendre. Je sens poindre mon propre amusement. Une crise de rigolade ici, ce serait bien une première pour moi.
— Qu'y a-t-il d'amusant ?
Nos quatre regards convergent l'un vers l'autre et c'est irrésistible. Mon Ange démarre le premier et nous le suivons dans la seconde. Mes parents sont éberlués, mais attendent patiemment que l'un de nous s'explique.
— Pouvons-nous savoir ce qui a déclenché ce rire ?
Emma se calme la première.
— Oh ! Rien d'important. C'était juste une baignade pas tout à fait habituelle.
— Pas tout à fait habituelle ? Ne me dis pas que vous vous êtes…
Je comprends tout de suite ce à quoi mon père pense je ne rigole plus. Mon visage se ferme.
— Père, voyons ! Ne soyez pas ridicule.
— Je ne suis pas ridicule, je m'interroge.
— Peut-être, mais pas de la bonne manière.
— Oh ! Tu croyais que nous nous étions baignés nus ? C'est ça, Papy ?
— Excuse-moi, Emma, c'était… stupide.
Raphaël éclate de nouveau de rire.
— C'est l'inverse, Papy. Nous nous sommes baignés habillés, avec nos pyjamas. C'était trop amusant.
Les mains de mon Amour se sont crispées, lui aussi a cessé de rire. Il s'est tendu comme un arc et je n'ose le regarder.
— Est-ce à cause de moi, de nous, que vous avez pensé un truc pareil ?
Mon père est mal à l'aise, il sait qu'il a commis un impair et qu'il est dû à des a priori stupides, relégués par des préjugés sur l'homosexualité.
— Veuillez m'excuser. C'était… inapproprié.
Sa tension n'est que légèrement apaisée. Mon homme ne va pas réussir à laisser passer un tel sous-entendu. Sa main me frôle et je lui jette un regard. Il m'interroge, me demande l'autorisation de s'exprimer. Il est hors de question que je le bride, que je l'empêche d'être lui-même, que je le spolie de son identité. Je hausse les épaules, qu'il fasse comme il l'entend. Il relâche son souffle et se redresse. Son regard direct se plante dans celui de mon père.
— Que les choses soient bien claires. Je ne suis pas un pervers et je respecte les enfants, vos petits-enfants. Plus encore, je les aime comme un père. Je suis homosexuel, ce qui ne signifie pas que je mène une vie dissolue. Je suis un enseignant, un enseignant consciencieux qui aime son métier et qui le fait du mieux qu'il peut. J'aimerais vraiment que vous fassiez taire vos conceptions erronées, sinon nous n'arriverons à rien.
Il a capté la totale attention de mon père qui ne s'offusque pas de ses manières directes. Il a eu tort et il le sait.
— Je suis sincèrement désolé.
— Très bien. Restons-en là.
Je ne peux que bénir l'arrivée de l'employée de maison, les bras chargés d'un plateau sur lequel est placée une théière.
— Merci, Angèle, je vais faire le service.
— Bien, Madame. Je vais chercher les pâtisseries.
Pendant les minutes qui suivent, nous regardons ma mère faire le service avec l'aide d'Emma. Une fois tout le monde servi et les assiettes de gâteaux posées sur la table basse, le silence se fait pesant. C'est mon père qui prend l'initiative de le briser.
— Quelle matière enseignez-vous ?
— Le français et la littérature.
— Dans un lycée ?
— Oui, le Lycée L.
— Un établissement prestigieux, si je ne m'abuse.
— Il l'est, en effet.
— Vous enseignez dans quelles classes ?
— Une terminale et des classes préparatoires.
La discussion se poursuit ainsi un petit moment, discussion à laquelle se joint ma mère. Je me contente de les écouter, tout comme les enfants. Elle est aisée et suffisamment neutre pour dissiper les tensions. Si mon père avait besoin d'une preuve quant à la force de caractère de mon Ange et à son honnêteté, je crois qu'il a eu ce qu'il voulait. Je suis convaincu aussi qu'il ne peut que lui accorder son respect, même si c'était déjà fait. Disons que c'est confirmé. La conversation en cours lui permet de mesurer son intelligence et sa culture. Ils peuvent effectivement s'entendre.
— Je vois que vous êtes une personne brillante.
— J'aime ce que je fais.
— C'est tout à votre honneur.
La conversation s'est épuisée et je ne sais pas comment la relancer. Ma mère est une hôtesse hors pair. Elle est habituée à jouer les médiatrices, elle peut aborder de nombreux sujets, calmer des tensions ou, si nécessaire, s'effacer. Elle choisit la légèreté.
— Vous ne goûtez pas les friandises ? Vous n'êtes pas gourmand ?
Ses questions m'amusent terriblement. Ce qui se trouve sur la table a dû faire de l'œil à mon Ange et il a fait l'effort de les ignorer, jusque-là.
— En fait, je suis très gourmand. Je ne résiste que rarement à des pâtisseries. J'essaie de me tenir convenablement.
— Ne faites pas cet effort, elles sont là pour être dégustées.
— Dans ce cas…
Je porte mon regard sur lui et ne peux que constater que ses yeux brillent de convoitise. Son attention s'est focalisée sur ce qui se trouve sous ses yeux. Il en choisit un et le porte à sa bouche. Je sais que tout ce que ma mère a choisi est de grande qualité.
— Hum, c'est très bon.
Mon fils s'insurge.
— Hey, Dadou ! Ne mange pas tout. Tu dois nous en laisser.
— Arrêtez de me regarder et faites comme moi. Sinon, tant pis pour vous.
C'est avec naturel que Raphaël se lève et vient s'asseoir à ses côtés. Il attrape à son tour un gâteau et c'est ensemble qu'ils se mettent à dévorer. Ils ressemblent à deux gamins.
— Tu as raison, ils sont super bons. Tu crois que celui à la chantilly est aussi bon que ceux au chocolat ?
— Aucune idée. Le plus simple est de goûter.
— Je pense comme toi.
Emma se lève à son tour, pour s'intercaler entre eux et la table.
— Stop tous les deux. Nous allons tous nous servir et vous y reviendrez après, sinon il va vite ne plus rien rester.
— Tu n'es pas drôle, Emma.
— Ah ah ! Si je le suis et vous, vous êtes incapables de vous restreindre… Papy, prends en un avant qu'il n'y en ait plus. Mamy, Papa, vous devriez faire pareil.
Mon père regarde Emma, légèrement étonné.
— Merci, Emma. Dis-donc, je ne te connaissais pas si autoritaire ?
— Il vaut mieux avec ces deux-là !
Nous nous servons tous et Emma se décale pour prendre place à mes côtés.
— Vous n'êtes gourmet que pour les friandises ?
— Non, j'aime cuisiner et j'aime manger.
— Vous cuisinez ?
— Depuis des années. J'ai même pris quelques cours. Je fais attention à ce que nous mettons dans notre assiette.
Ma mère est très curieuse.
— Vraiment ? De quelle manière ?
— Eh bien, je n'achète que des produits bio, frais et de qualité. Je m'efforce d'équilibrer nos repas. Tant que nous sommes en bonne santé, nous pouvons faire face sans difficulté à notre vie quotidienne. J'aime l'idée d'une vie saine.
— Mon fils vous aide ?
Elle se tourne vers moi, une question dans les yeux. Je pense qu'elle n'a jamais cuisiné quoi que ce soit de toute sa vie.
— Il m'arrive de l'aider, mais la cuisine est son domaine. Je sais faire les basiques, je me suis débrouillé seul à une époque, mais mes compétences ne vont guère plus loin.
— Son domaine, c'est le jardin.
— Tu jardines ?
— J'adore m'occuper des fleurs et des plantes. C'est moi qui entretiens le terrain et le jardin de notre maison de Normandie. J'ai appris seul avant que sa grand-mère ne me transmette son savoir. Si je mets parfois les pieds dans la cuisine, lui ne met jamais les siens dans la cabane du jardin.
— Il faudrait que vous veniez nous rendre visite. Vous connaissez déjà, mais vous n'êtes pas restée longtemps.
Mon Ange se tourne vers mon père qui s'est retranché dans le silence. Il nous écoute.
— Vous êtes le seul à ne pas y avoir encore mis les pieds, vous savez.
— Je veux bien le croire.
— Je ne vous en voudrais pas s'il vous faut un peu de temps pour répondre à mon invitation, ce serait de bonne guerre... Quoique. Il me semble me rappeler que vous avez déjà été invité une fois, il y a plus d'un an. J'ai mis moins de temps que vous.
— C'est vrai, je le reconnais.
— Ceci étant, faites comme vous voulez. Vous n'avez aucune obligation vis-à-vis de moi. Sachez juste que si vous voulez venir, vous êtes le bienvenu.
— Nous verrons, mais… pourquoi pas.
Après cela, mon Amour se tait et se voile derrière sa discrétion. Mon père en fait tout autant. Cette première fois en restera là, elle ne s'est pas trop mal passée. L'heure suivante voit notre attention se porter sur les enfants. Leur naturel a fini par prendre le dessus et ils focalisent notre intérêt. C'est peut-être volontaire de leur part, ils en sont bien capables.
Nous restons un peu plus de deux heures avant de nous décider à partir. Les « au revoir » se font avec une simplicité toute relative. Ma mère lui a offert sa sympathie, mon père n'a pas encore tranché. Je pense cependant que le plus dur a été réalisé.
Une fois dans la voiture, la musique des enfants nous permet de ne pas chercher à discuter. Mon Ange a besoin de calme et de retrouver ses quatre murs et, peut-être même, sa bulle. Ces quelques heures auxquelles il s'est résolu lui ont coûté. Je le sais. Mon père l'a ignoré pendant des années, il s'y était habitué et l'avait relégué dans ses désintérêts. Ce n'est plus le cas. C'est un nouvel élément dans sa vie auquel il va réfléchir, avant de se positionner.
Dès que nous franchissons l'entrée de l'immeuble, Emma et Raphaël décident de regagner l'appartement de leur mère. C'est donc seuls que nous regagnons le nôtre.
Notre porte est à peine refermée que nos regards se happent et se retiennent. Un sourire effleure nos lèvres et c'est naturellement qu'elles se joignent pour un doux baiser.
— Tu vas bien ?
— Je vais bien.
— Tu es sûr ? Je te trouve un peu… distant.
— Je ne suis pas distant, j'ai juste besoin de notre chez nous et de son calme. Notre semaine a été formidable et je me sens très bien. Je reconnais avoir quelques tensions. Je ne voulais pas faire de bourde et, en même temps, je ne voulais pas jouer un jeu.
— Tu as été parfait, toi-même. Que veux-tu faire ce soir ?
— Humm, je vais commencer par un bain pour me détendre, puis je m'allongerai avec un livre.
— Et pour le dîner ?
— Aucune idée, je n'ai pas faim. Et toi, que veux-tu faire ?
— Rien de spécial. Je pourrais me contenter d'un livre aussi.
— Bien. Je vais prendre mon bain.
— Va, je te rejoins.
— Tu vas le prendre avec moi ?
— Peut-être, je ne sais pas encore.
— Tu es le bienvenu.
Il se détourne de moi et se dirige vers la salle de bains. Dans le même temps, il ôte son tee-shirt et le laisse tomber par terre. Quand il atteint la pièce d'eau, il stoppe et retire son jean qu'il jette aussi. Son invitation est sans équivoque. Je le suis sans un mot tout en ramassant ce qu'il a semé. Je les mets dans le panier à linge et lui fais face. Il est déjà nu et la baignoire a commencé à se remplir.
— Aurais-tu des envies pour lesquelles tu as besoin de moi ?
— Oui, mais ce ne sont pas celles que tu crois. Je voudrais juste tes bras, me délasser dans l'eau et dans tes bras.
— Cette idée me semble bien.
— Alors viens.
Il entre dans l'eau. Je me déshabille à mon tour et me glisse à ses côtés. Il me fait de la place de manière à ce que son dos soit contre ma poitrine et que je puisse l'enlacer. Je n'aime pas prendre des bains, mais je cède parfois, juste pour lui, pour ce partage avec mon Ange.
— Je suis bien. Merci.
— Je t'en prie.
À cette simple phrase, je sais que nous sommes tous les deux souriants. Elle est un lien unique entre nous, une connivence, un souffle.
Mes mains se promènent sur lui et se contentent de l'apaiser. Il se cale un peu mieux, la tête rejetée contre mon épaule. Il a les yeux fermés.
— Dis, tu ne vas pas t'endormir ?
— Je le pourrais, mais non. Nous n'allons pas rester assez longtemps pour ça.
— Tu peux y rester aussi longtemps que tu veux.
— Je ne veux y rester ni plus ni moins de temps que toi.
— Comme tu veux.
Mes vingt minutes, mon temps maximum pour un bain, passent très vite. Je commence à gigoter. Il se redresse et attrape le gel douche. Nous nous lavons et nous rinçons sous une douche. Nu, il gagne la chambre et s'y couche par-dessus la couette. Son livre du moment est sur la table de chevet. Il l'attrape, s'installe confortablement sur le ventre et commence sa lecture. Je fouille dans la table de chevet et attrape les huiles essentielles qui s'y trouvent. J'en choisis une et m'accapare son corps pour un massage.
— J'espérais que tu aurais cette idée.
— Il te suffisait de demander.
— Ce n'était pas utile, la preuve. Tu fais toujours ce qu'il faut et tu sais ce dont j'ai besoin.
Avec des gestes précis, je le masse et m'attarde sur ses points de tension. J'y mets beaucoup d'application. Je lui offre ce moment de détente auquel il aspire. Son livre s'est déjà refermé, il savoure. Au bout d'un certain temps, il se tourne et m'invite à continuer. Le silence nous environne, nos souffles sont paisibles et sereins. Une fois que chaque parcelle de sa peau a connu et reconnu mes mains, je m'arrête et m'étends sur lui.
— Tu n'as toujours pas faim ?
— Non. Et toi ?
— Pas particulièrement. Restons ainsi.
Ses bras m'enlacent et il nous guide sous la couette. Je m'étonne.
— Il est à peine vingt-deux heures.
— C'est parfait. Huit bonnes heures de sommeil.
— Tu veux te lever à six heures ?!
— Non… Je compte sur toi pour mettre le réveil à sonner comme tu sais si bien m'en faire la surprise.
J'éclate de rire. Pendant longtemps, je me suis amusé à le réveiller plus tôt que nécessaire. J'adore lui faire l'amour le matin. Pour être sûr de ne pas manquer de temps, je programmais la sonnerie du réveil en avance. Je pensais que, peut-être, il ne se rendait compte de rien. Il a fini par m'avouer qu'il n'était pas dupe.
— Ce ne sera plus une surprise.
— C'est vrai, mais je compte sur toi pour être inventif. Ainsi, ça en sera une.
— Je relève le défi.
— Parfait, je n'en attendais pas moins.
Son corps se love un peu plus contre le mien et je le sens rapidement s'endormir. Je reste un long moment à le regarder, à l'admirer. Je l'ai toujours fait. Des minutes, des heures parfois, à le mirer dans le sommeil, à le contempler, à l'aimer avec mes seuls yeux. Quand ces derniers commencent à clignoter, je tends le bras et règle le radioréveil. Avec un peu de chance, l'un de nous deux se réveillera dans la nuit et « dérangera » l'autre. Alors, ce ne sera pas une surprise mais deux que nous aurons. Ensuite, il bougonnera parce qu'il n'aura pas envie de se lever. Et moi, amusé, je lui préparerai un petit déjeuner que je lui apporterai au lit. Alors, il maugréera un peu plus et notre éclat de rire sera les prémices de notre journée.
Sur le pas de la porte, lorsque le moment sera venu de nous quitter, nous n'aurons qu'une seule pensée, celle de nous retrouver le plus rapidement possible. Il en est toujours ainsi, quel que soit l'intérêt que nous portons à ce que nous faisons. C'est une vérité immuable.
FIN
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La suite (3 nouvelles et un épilogue) sera publiée prochainement, et verra la fin de cette "série" : Lui, L'amoureux et Eux.
Lui est mon 1er texte écrit et posté sur FictionPress, en 2013. Le début d'une aventure que je n'aurais même pas osé imaginer.
Un grand MERCI à vous tous qui m'avez lu, ici ou ailleurs, qui m'avez suivi et qui continuez de me lire. Sans vous, ce rêve - celui d'écrire et de publier - n'existerait pas.
Joyeux Noël à tous. Passez de belles fêtes de fin d'année.