Chess ouvrit les yeux quand un cri horrible résonna, couvrant l'espace d'un instant le bruit fort de la pluie et du vent avant de s'éteindre brusquement. Le vent semblait se déchaîner davantage en réponse, la pluie battant durement contre le bâtiment et ses fenêtres. L'un de leur volet s'était même ouvert sous la force du vent, laissant voir les falaises noyées sous la pluie et un vent assez fort pour renverser quelques arbres. Dans le bruit le plus désagréable d'un volet claquant sans cesse contre la brique et la pierre du mur.
Le garçon se redressa dans son lit, la chemise de son pyjama entre-ouverte et les yeux confus. Ce n'était pas normal, l'obscurité de leur chambre et la tempête qui faisait rage dehors semblaient appuyer l'étrangeté de la situation. Morgan se redressa lui aussi, surprit de voir leur nuit écourtée par un cri visiblement féminin.
Les religieuses dormaient dans un dortoir derrière le pensionnat, tout comme leurs professeurs. Loin des élèves, et offrant à chacun un semblant d'intimité la nuit. En plusieurs années, Morgan et Chess n'avaient jamais entendu une voix féminine de nuit. Même les rares sœurs qui veillaient sur le pensionnat la nuit restaient dans le quartier privé des adultes, faisant un peu de paperasse et pour certaines quelques prières dans la chapelle. Morgan s'était même glissé plusieurs fois dehors la nuit pour fumer une cigarette et n'avait pas croisé la moindre âme. Cela rendait le cri d'autant plus inquiétant.
Morgan et Chess s'échangèrent un regard confus, inquiets que quelque chose de grave ai pût arriver durant la nuit. À moins qu'ils n'eussent rêvé ce cri ? Le vent était, après tout, assez fort pour leur jouer un tour.
Le soleil n'était pas prêt de se lever, le vent soufflait bruyamment à leur fenêtre et les deux étudiants auraient voulut dormir encore quelques heures. Chess n'était pas d'humeur à faire une nuit blanche après les évènements de la veille. Il était un gros dormeur en règle générale, et la vision de la mouette encore dévorée par les insectes ne lui avait pas offert un sommeil réparateur. Le brun s'inquiétait de manquer quelques choses de grave, et le sommeil pouvait attendre. Il n'allait de toute manière pas réussir à se rendormir avec le bruit de la tempête et l'agitation qui semblait avoir réveillé d'autres étudiants.
Morgan se leva de son lit, frissonnant de froid en sortant de ses couvertures. Il avait préféré dormir torse-nu cette nuit, et il se hâta d'enfiler une chemise tandis que Chess allumait rapidement la lumière en sortant de son lit avec une grimace.
Les deux garçons crurent un instant avoir rêvé alors que la tempête se déchaînait, mais un second et dernier cri résonna, bien plus long avant de se stopper brutalement dans un bruit de chute atroce. Cela ne pouvait pas être le bruit du vent, ni celui d'un animal ou de l'océan. C'était humain. Terriblement humain, une femme hurlant de peur avant que le bruit d'un choc ne la coupe. Quelqu'un était tombé ?
Les garçons échangèrent un regard surpris, enfilant rapidement leurs chaussures pour sortir de leur chambre partager. Morgan ne fut pas surpris de voir plusieurs étudiants sortir eux aussi de leur chambre, les cris les ayant réveillés tout comme le duo.
Plusieurs étudiants courraient vers l'origine du bruit, descendant les escaliers centraux à toute vitesse et réveillant avec leurs bruits les derniers gros dormeurs du pensionnat. Morgan attrapa la main de Chess, l'entrainant vers le grand hall pour jeter un œil dehors et découvrir l'origine du bruit quand un cri d'un de leurs camarades stoppa tout le groupe.
Paul se tenait devant l'une des fenêtres avec ses amis, tentant de voir de l'intérieur la personne qui avait crié. Malheureusement la vue n'était pas parfaite, entre la pluie, la nuit et l'angle pour le moins mauvais qu'offrait la fenêtre. Il n'y avait que les trouillards comme Paul ou les premières années pour préférer découvrir l'origine du cri à l'abri de celui-ci. Même s'ils ne voyaient pas grand-chose ainsi.
Pourtant, le roux pouvait, et les autres pensionnaires aussi, voir une forme en robe noir sur le sol. Reposant sur les marches de l'entrée, la forme semblait humaine. Beaucoup trop humaine alors qu'elle restait immobile sous les vagues d'eaux déferlant du ciel.
Morgan se pressa de descendre avec Chess, courant avec d'autres garçons vers la porte d'entrée du pensionnat. Jamais le jeune homme n'avait descendu aussi rapidement l'escalier, ou serré aussi fort la main de Chess alors qu'ils suivaient le mouvement. Eugène était déjà parti chercher sœur Hortense de garde cette nuit avec sœur Amalia.
Chess serra les lèvres, son mauvais pressentiment de la veille semblant ressurgir. Quelque chose allait se passer, ou s'était déjà passé selon le cri.
Le hall d'entré était immense, avec une réception soigneusement entretenue quand le pensionnat était ouvert, gérée généralement par sœur Clotilde, et des murs décorés par des tableaux de paysages ou natures mortes. Un couloir partait de chaque coté, l'un menant aux nombreuses salles d'études du rez-de-chaussée pour faire le tour complet du bâtiment, tandis qu'un troisième couloir sous l'escalier menait directement au réfectoire et aux deux dépendances derrières le pensionnat que les étudiants ne visitaient que rarement contrairement à la nature sauvage qui entourait le domaine.
Les étudiants pouvaient facilement profiter de la cour du pensionnat, ainsi que la campagne alentours avec ses espaces forestiers pour se balader sur les divers petits chemins. Mais ce n'était pas le moment de penser à ça, pas alors que les autres étudiants ouvraient les grandes portes une fois arrivés sur les pavés froid du hall.
Quelqu'un avait crié, un cri capable de glacer le sang et tous les jeunes adultes étaient paniqués et curieux d'en découvrir les raisons.
La vue qui les accueillit figea les élèves d'horreurs, qui se rendirent compte que ce n'était pas seulement une femme en danger qui appelait à l'aide en pleine tempête. C'était quelque chose de bien pire, immobile dans une flaque de son propre sang, la lumière du hall d'accueil illuminant la scène.
Morgan s'arrêta au milieu du hall, ses yeux rouges vin s'ouvrant d'horreur alors qu'il observait la forme cassée sur les marches du pensionnat. Chess serra fortement sa main, fermant les yeux alors que plusieurs cris d'horreurs résonnaient dans le hall.
Cela ne pouvait pas être vrai murmura Morgan.
La forme était brisée par la chute, son corps tordu et laissant échapper une flaque de sang de manière malsaine. Ses jambes et ses bras étaient tordus dans des angles étranges et peu naturels. Sans doute brisés durant l'impact avec les marches. Elle était allongée sur le dos, laissant voir sa tête fracassée et le dernier visage qu'elle abordait, un visage de pure horreur. Un visage marqué par des griffures horribles rappelant à Morgan une blessure qu'il avait eu enfant, griffé par les serres d'un corbeau, sauf que pour le cas de la pauvre religieuse, cela venait d'un oiseau encore plus gros en vue des profondes plaies qui défiguraient le visage de la femme.
On reconnaissait à peine le visage de sœur Amalia. Elle semblait être morte sur le coup, noyant son corps brisé sur l'escalier de pierres, laissant la pluie nettoyer le sang ruisselant sur les marches. Etait-elle tombée du toit ? Chess espérait que la jeune religieuse n'avait pas autant souffert que le laissait penser l'état de son corps.
Morgan observait choqué le corps détruit, laissant Chess l'éloigner de cette vision pour s'asseoir sur l'un des bancs habillant le hall avec leurs coussins bruns et les accoudoirs sculptés de figures timides et florales. Savoir que le cri qui les avait réveillés, ce grand choc qui avait fini par alerter les étudiants provenait d'une des religieuses, qu'il avait vue quelques heures plus tôt, glaçait son sang. Elle était morte. Soudainement et sans raison.
Morgan observa Chess se laissant tomber sans grâce sur le banc à son tour, laissant ses bras se renfermer autour de lui et ses yeux se fermer. Ce n'était pas la première fois qu'ils voyaient la mort, mais jamais de cette manière réalisèrent-ils douloureusement.
Sœur Madeleine était morte l'année dernière de tuberculose. Mais la vielle dame avait plus de cinquante ans, et avait lutté pendant plusieurs mois avec la maladie. Morgan n'aurait jamais pensé dire que cette mort n'était rien comparée à ce qu'il pourrait voir d'autre ici, et qu'un spectacle bien pire l'attentait. La maladie et la vieillesse pouvaient être cruelles, mais celle brute d'un accident, ou d'un meurtre laissait une plaie plus douloureuse. Et autant de questions.
La soirée avait été mouvementée déjà, annonçant presque cet évènement. Il n'avait pas la force de faire face à tout ça, pas quand il était en pyjama et que son esprit n'arrivait pas encore à réaliser qu'une femme morte gisait sur le sol, à quelques mètres d'eux. Pas quand son ami était à la fois troublé par cette mort et terrifié de ce que cela représentait pour eux, étudiants à la recherche de savoir et de sécurité entre les murs soudainement trop étouffants du pensionnat.
Chess tressauta dans ses bras, laissant sa tête retomber sur son épaule, épuisé. Il était évident que les chanceux qui avaient vue sœur Amalia n'allaient pas oublier cette vision tordue avant un long moment, ou une bonne quantité d'alcool. Eugène arriva enfin après de longues minutes qui semblaient s'éterniser, sœur Hortense à ses côtés pour faire l'étrange découverte à leur tour.
La journée ne serait pas facile se rendit compte Morgan, la fatigue ayant fuit son esprit et ses yeux se dirigeant lentement vers la porte d'entré entre ouverte. Il pleuvait toujours, et l'extérieur n'était qu'un gouffre de noirceur mise à part les escaliers et leur occupante qui envoyaient un frisson dans sa colonne vertébrale. La lumière des lampes à gaz marquait les trais du visage sans vie d'Amalia.
Les étudiants étaient tous fatigués avec les évènements d'hier soir, mais maintenant cela semblait idiot d'avoir été inquiété par un oiseau. Aucun animal ne pourrait être plus effrayant que le corps brisé d'une femme, le visage griffé et marqué par la peur. Le brun eu une nausée en voyant que des insectes se posaient déjà sur le corps malgré la pluie, un papillon de nuit profitant de l'abri pour se poser sur le torse de la morte, frottant ses antennes velues nonchalamment.
Morgan aurait bien voulu fuir chez lui, sans doute comme beaucoup, mais les choses n'étaient pas aussi simples et même en fiacre il ne serait pas chez lui avant deux bons jours. Son frère lui avait écrit dans ses lettres quelques faits divers qui avaient bousculé sa vie universitaire à Londres aussi. C'était juste la vie, malgré que le jeune homme puisse sentir ses doigts trembler. Il ne serait pas un lâche néanmoins, et ils n'auraient de toutes manières pas la chance de fuir pour toujours le pensionnat. Son frère l'avait rassuré maintes fois dans ses lettres que parfois les choses pouvaient devenir macabre.
Chess avait suivi avec lui les nouvelles, choqua et captiva par ces différentes affaires. Un suicide n'était malheureusement pas rare, à l'âge des peines d'amours. Et lors de ses études de médecines, Henry avait connu plusieurs tueurs serpentant dans Londres avant de finir sur leurs tables d'examens. Ce n'était rien avait dit l'homme, rassurant un jeune adolescent à l'époque.
Maintenant qu'ils étaient face à ce genre de désagréments, cela devenait plus qu'une gêne pour leurs études. Et Morgan et Chess devaient y faire face. Plusieurs religieuses les avaient rejoints maintenant, tentant de mettre un peu d'ordre dans cette nuit agitée que Morgan n'avait pas vu passer.
Ils avaient tous besoin d'un peu d'ordre. D'un semblant de normalité.
Sœur Odile était étrangement douce en les accompagnant dans leurs étages avec sœur Blandine, répétant que c'était triste, mais que les accidents arrivaient. C'était une triste réalité. Toutes les familles avaient connu des pertes, il se passait rarement une année sans qu'un proche ne rejoigne le seigneur les rassurait sœur Blandine.
Ce n'était qu'un accident. C'était normal et cela arrivait partout.
Même si Morgan avait le sentiment que ce n'était que le début, Chess partageait son pressentiment alors qu'ils regagnaient leur chambre. Aucun des deux garçons ne voulait découvrir de quoi cet accident tragique était le début. Sachant pertinemment en se recouchant que quelque chose se préparait. Si cela était bien un accident.